Contrat public : perte des qualifications requises pour la candidature en cours de procédure
1. Pour candidater à un marché public les opérateurs économiques ont la possibilité de s’accorder dans le cadre d’un groupement ou, sans former un tel groupement, de s’appuyer sur les capacités et compétences d’un opérateur tiers.
Cette dernière possibilité est expressément prévue par l’article 48-II du décret du 29 mars 2016 relatif aux marchés publics (cet article devant être lu à la lumière de l’article 63 de la directive 2014/24 dont il est issu). Précisons que cette possibilité existait déjà auparavant à l’article 45-III du Code des marchés publics (dans des termes un peu différents).
Pour bénéficier de cette possibilité, le candidat (principal) doit, dans les conditions fixées par la réglementation et selon les exigences de la consultation (qui doivent donc être vérifiées au cas par cas), produire la documentation requise (documents relatifs aux capacités et références de l’opérateur tiers, engagement de ce dernier de les mettre à disposition pour l’exécution du marché – cf. art. 50 du décret du 25 mars 2016).
2. Dès lors que le candidat (principal) s’appuie sur un tiers, il convient d’appréhender l’impact des changements qui pourraient intervenir chez ce dernier pendant une procédure de consultation.
Rappelons, pour mémoire, que le traitement des changements affectant le membre d’un groupement en cours de consultation est (en partie) réglé par les dispositions de l’article 45-IV du décret du 25 mars 2016 (et la jurisprudence, principalement de la Cour de Justice de l’Union Européenne) et l’article 50 de l’Ordonnance du 23 juillet 2015. Il existe également des dispositions spécifiques sur ce sujet pour ce qui concerne les sous-traitants.
La réglementation ne comporte en revanche pas de disposition équivalente lorsque les changements affectent l’opérateur tiers sur lequel le candidat principal se fonde.
3. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice (CJUE, 14 septembre 2017, Casertana Costruzioni Srl, aff. C-223/16) qu’il n’est pas possible de remédier aux changements affectant un opérateur tiers (ou « entreprise auxiliaire »), intervenus en cours de procédure de passation et qui ont pour effet de disqualifier la candidature.
Dans cette affaire, la situation examinée par la Cour était la suivante :
- l’acheteur avait requis des qualifications professionnelles spécifiques pour l’exécution du marché reposant sur des certificats ;
- le candidat (principal) s’était – notamment – appuyé sur un opérateur tiers qui possédait les certificats de qualification professionnelle requis par le marché à la date à laquelle l’offre a été déposée ;
- l’opérateur tiers a perdu ses certificats de qualification professionnelle après le dépôt de l’offre.
Le candidat (principal), qui n’a pas remporté l’appel d’offres, a contesté la procédure de passation.
Pendant le procès, il lui a été opposé qu’il ne pouvait pas valablement contester la procédure dans la mesure où l’opérateur tiers sur lequel il s’appuyait avait perdu ses certificats de qualification professionnelle postérieurement au dépôt de son offre, ce qui entraînait automatiquement son exclusion.
Si le candidat (principal) a fait valoir que la perte de qualification de l’opérateur tiers ne lui était pas imputable et qu’il devait pouvoir bénéficier de la faculté de remplacement (désormais) offerte de pouvoir remplacer l’opérateur tiers résultant de l’article 63 de la directive 2014/24, la Cour ne l’a pas suivi.
Cette dernière a en effet relevé que la nouvelle directive 2014/24 n’était pas applicable à l’affaire jugée et qu’il résultait (sauf exception circonscrite) de la jurisprudence de la Cour de justice que la modification de l’entreprise tierce constituait une modification substantielle de l’offre et de l’identité même du candidat, ce qui ne permet pas de la maintenir dans le cadre de la consultation (point 39).
La Cour souligne qu’ouvrir la possibilité de modifier la situation du candidat en cours de procédure de passation serait contraire au principe d’égalité de traitement et serait susceptible de créer une distorsion de concurrence entre les candidats (point 40).
Il a été déduit que l’offre du candidat requérant devait être automatiquement disqualifiée, ce qui induit par voie de conséquence qu’il ne pouvait pas valablement contester la procédure de passation (puisqu’il n’aurait pas pu avoir le marché).
4. Dans la mesure où cette décision a été rendue au regard de la réglementation antérieurement applicable (directive 2004/18) et que les dispositions de la nouvelle réglementation (directive 2014/24) concernant la candidature (groupement, sous-traitant, entreprise tierce) ont évolué, il faut s’attendre à des évolutions jurisprudentielles futures sur ce sujet (qui pourraient laisser plus de marge de manœuvre aux candidats lorsqu’ils subissent des modifications en cours de consultation).
Cependant, la règle à retenir est que la candidature (périmètre, caractéristiques … etc.) ne doit pas évoluer substantiellement entre le dépôt des offres et l’attribution, au risque d’être disqualifié au terme de la procédure ; sous réserve toutefois des possibilités nouvelles offertes par la réglementation à ce jour applicable pour ce qui concerne les groupements et les sous-traitants.
Les opérateurs économiques doivent donc bien appréhender leurs partenaires et s’interroger – de façon stratégique au plan juridique – sur l’intérêt ou l’opportunité de se placer dans un groupement ou de recourir à la sous-traitance plutôt que de s’appuyer « simplement » sur un opérateur tiers.
Alexandre Le Mière
Avocat associé