Licenciement économique : attention à la notion de secteur d’activité

Lorsqu’un licenciement économique est envisagé dans une entreprise appartenant à un groupe, le motif économique doit être apprécié, non pas à l’échelle de l’entreprise, mais au niveau du secteur d’activité commun avec les autres entités du groupe situées sur le territoire national (C. trav., art. L. 1233-3). 

Un arrêt rendu le 8 novembre par le Conseil d’État (Conseil d’État, Chambres réunies, Décision nº 469696 du 8 novembre 2024, Requête nº 24-566 bis) précise que la spécialisation de l’entreprise ne suffit pas à exclure son rattachement à un secteur d’activité plus étendu.

  1. Les faits :

Dans le cadre d’une réorganisation nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité, un groupe avait décidé de fermer l’un de ses sites et élaboré un PSE.

L’inspecteur du travail avait, après avoir vérifié les circonstances de la rupture.

Un litige s’est toutefois noué autour du secteur d’activité retenu par l’employeur et l’administration pour l’appréciation de la cause économique du licenciement.

Le groupe était structuré en trois segments d’activité distincts : la dermatologie de prescription, la dermatologie esthétique et correctrice, et la dermatologie cosmétique grand public. L’entreprise étant spécialisée dans le domaine de la dermatologie de prescription, l’employeur et l’inspecteur du travail avaient jugé opportun d’apprécier le motif économique à l’échelle de ce seul secteur, ce que contestait la salariée.

 2. La décision

L’inspecteur du travail ne peut se limiter au secteur d’activité dans lequel l’entreprise est spécialisée pour apprécier le bien-fondé du motif économique. Il doit évaluer la situation de l’ensemble des entreprises du groupe intervenant dans le même secteur d’activité caractérisé, notamment, par la nature des produits, biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, ainsi que les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché (C. trav., art. L. 1233-3).

Le Conseil d’État a application des principes précités aux circonstances de l’espèce. Il a relevé que :

– la société intervenait dans les trois segments d’activité du groupe ;

– les produits des trois secteurs étaient indistinctement conçus, fabriqués et distribués par les mêmes divisions du groupe ;

– le groupe poursuivait une stratégie de développement commune aux trois segments.

Autant d’éléments permettant de conclure que « le secteur d’activité pertinent [était], en l’espèce, celui constitué par les trois segments précités », et non celui limité à la prescription, contrairement à ce qu’avaient retenu l’employeur et l’inspecteur du travail. L’employeur n’apportant aucun élément permettant d’évaluer la réalité du motif économique à cette échelle, alors qu’il y avait été spécifiquement invité, la salariée était « fondée à soutenir que la réalité du motif économique fondant son licenciement [n’était] pas établie et que la décision de l’inspecteur du travail ayant autorisé son licenciement pour motif économique [était], par suite, entachée d’illégalité », conclut l’arrêt.

Conclusion : avant tout licenciement collectif dans un groupe la détermination du secteur d’activité est essentiel. Elle est entendue très largement par les juges.

Benjamin LOUZIER

Associé/Partner Avocat Spécialiste en droit social

Comment révoquer et licencier un dirigeant pour les mêmes motifs.

Dans un arrêt récent (CA Paris 4-6-2024 n° 22/07491, X c/ Sté HRO France) il a été jugé que la cause réelle et sérieuse du licenciement d’un salarié peut constituer un juste motif de révocation de ses fonctions de dirigeant, cette révocation pouvant elle-même fonder la révocation de l’intéressé de son mandat social dans une autre société.

  1. Les faits

La gestion d’un projet immobilier est confiée à une SARL (A). Son gérant, par ailleurs salarié de la société, est nommé gérant d’une autre SARL (B), créée pour réaliser ce projet.

Il est révoqué de son mandat social dans la société A, puis licencié pour faute grave par celle-ci. Considérant que cette révocation empêche la poursuite normale de leur relation, l’associé unique de la société B le révoque.

L’intéressé agit alors contre les deux sociétés pour obtenir réparation de la révocation de ses deux mandats sociaux qu’il estime infondée.

  • La décision

La cour d’appel de Paris rejette sa demande.

Le comportement brutal et méprisant du gérant, rapporté par plusieurs témoignages, était de nature à porter gravement atteinte au bon fonctionnement interne de la société A et contraire à l’intérêt social puisqu’il donnait une mauvaise image de l’entreprise à ses partenaires extérieurs.

Plus encore, le fait que cette circonstance ait déjà été retenue par un conseil de prud’hommes comme cause réelle et sérieuse de licenciement était sans incidence : l’argument de l’autonomie du mandat social et du contrat de travail était inopérant en raison de la nature des faits reprochés, qui irriguent de manière identique l’ensemble des fonctions de l’intéressé.

On sait que certains dirigeants, parmi lesquels les gérants de SARL (C. com. art. L 223-25, al. 1), ont droit à des dommages-intérêts s’ils sont révoqués sans juste motif.

La cour d’appel de Paris énonce ici que le juste motif peut résulter d’une faute du dirigeant, d’une attitude non fautive mais de nature à compromettre l’intérêt social ou le fonctionnement de la société (Cass. com. 4-5-1999 no 96-19.503 P : RJDA 7/99 no 792), d’un changement dans l’organisation interne – étant précisé que la suppression du poste du dirigeant n’équivaut pas à une révocation (Cass. com. 4-4-2024 no 22-19.991 F-B : RJDA 6/24 no 341) – ou encore de la perte des fonctions au sein d’une autre personne morale.

La Cour de cassation a également déjà admis que la révocation du dirigeant d’une filiale pouvait être notamment justifiée par la résiliation de son contrat de travail avec la société mère, dès lors que le mandat social, pour lequel aucune rémunération n’était prévue, se situait dans la même logique de management que le contrat de travail (Cass. com. 12-6-2007 no 06-13.900 F-D : RJDA 12/07 no 1242).

La décision commentée semble répondre à la même logique.

Benjamin Louzier
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