Marché public: la gravité des désordres est prise en compte pour l’appréciation de la garantie décennale des constructeurs
1- Dans un arrêt du 12 janvier 2016, la Cour administrative d’appel de Bordeaux s’est penchée sur les conditions de mise en œuvre de la garantie décennale des constructeurs (CAA Bordeaux, 12 janvier 2016, Département de la Dordogne, req. n°13BX01618, Inédit au Recueil Lebon).
En l’espèce, le département de la Dordogne avait conclu un marché de travaux relatif à la restructuration et l’extension d’un collège. Quelques années après avoir réceptionné l’ouvrage, des désordres d’infiltration d’eau et de fissuration affectant le collège étaient apparus.
Le département de la Dordogne avait alors engagé une procédure de référé-expertise et une action devant le juge administratif à l’encontre des différentes entreprises afin d’obtenir réparation du préjudice subi.
2- La Cour administrative d’appel de Bordeaux rappelle tout d’abord le principe récemment réaffirmé par le Conseil d’Etat (CE, 15 avril 2015, Commune de Saint-Michel-sur-Orge, req. n°376229), selon lequel il « résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d’épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l’ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité ».
Elle ajoute qu’ « ils ne peuvent s’exonérer de cette responsabilité qu’en prouvant que les désordres proviennent d’une cause étrangère à leur intervention. »
En application de ces principes, la Cour procède à un contrôle de la gravité des désordres constatés afin de déterminer s’ils sont de nature à engager la responsabilité des constructeurs.
3- En l’occurrence, la Cour administrative d’appel de Bordeaux considère, en se fondant sur le rapport d’expertise, que les désordres d’humidité constatés au plafond de salles de classe du collège, qui ont fait l’objet de reprises, ne compromettent pas la solidité de l’ouvrage et ne le rendent pas impropres à la destination.
La Cour en déduit que la responsabilité de la société chargée du lot « étanchéité » ne peut donc être engagée sur le fondement de la garantie décennale.
En revanche, elle retient que les désordres de fissuration présents sur un mur extérieur sont de nature à porter atteinte à la solidité de l’ouvrage et à le rendre impropre à sa destination.
Elle considère donc que ces désordres sont de nature à engager la responsabilité de la société titulaire du lot « terrassement et gros œuvre » et la condamne à réparer le préjudice subi par la Collectivité.
4- Il importe donc de retenir que l’Administration doit prouver que les désordres apparus postérieurement à la réception des travaux sont suffisamment graves pour engager la responsabilité des constructeurs sur le fondement de la garantie décennale.
Par conséquent, les ex-titulaires de marchés publics de travaux qui se voient potentiellement attraits en responsabilité au titre de la garantie décennale doivent impérativement étudier très précisément les faits exposés par l’Administration pour vérifier s’ils affectent ou non la solidité de l’ouvrage, ou le rendent impropres à sa destination.
Si tel n’est pas le cas, ils pourront utilement tenter de s’opposer à leur mise en cause, ce qui semble possible si les faits sont clairs et suffisamment précis dès le stade de leur mise en cause dans le cadre d’un référé expertise.
Cependant, et dans la mesure où il est vraisemblable que dans la majorité des cas le juge du référé expertise ne les mettra pas hors de cause a priori, il appartient aux ex-titulaires ainsi mis en cause de gérer l’expertise de façon adéquate afin d’obtenir un avis favorable de l’expert qui leur permettra ensuite d’être mis hors de cause par le juge de la responsabilité (dans l’hypothèse où l’Administration ne se sera pas elle-même abstenue sur ce point).
Emmanuelle Yvon
Avocate à la Cour