Urbanisme et contentieux : le « permis de construire provisoire » consacré par le Conseil d’Etat.
1- Le Conseil d’Etat a consacré une nouvelle notion de permis de construire « provisoire », venant s’opposer au permis de construire « définitif », en raison des conditions dans lesquelles il a été délivré (CE, Sect., 7 octobre 2016, SARL First Invest, req. n° 395211).
Un tel « permis provisoire » peut se rencontrer dans la situation suivante : un pétitionnaire dépose une demande de permis de construire ; l’administration refuse de délivrer le permis demandé ; le pétitionnaire demande au juge administratif d’annuler ce refus, ce qu’il obtient en référé.
Le permis de construire délivré à la suite du réexamen de la demande ordonné par le Juge des référés ne revêt alors, qu’un caractère provisoire, jusqu’à ce qu’il soit statué sur le recours en annulation.
L’Administration dispose alors du pouvoir de retirer cette décision pendant un délai de 3 mois après notification du jugement intervenant au fond, sous réserve du respect du principe du contradictoire.
2- Les faits de l’espèce sont plutôt clairs.
Une société s’est vu opposer un refus de permis de construire d’une maison et d’un garage. Elle a alors demandé l’annulation de cette décision de refus devant le tribunal administratif en accompagnant son recours d’une demande de suspension.
Le Juge des référés a fait droit à sa requête et a enjoint à la mairie de procéder au réexamen de la demande de permis dans un délai d’un mois. En exécution de cette ordonnance, le maire lui a alors délivré un permis de construire.
Postérieurement à la délivrance du permis de construire à la suite de l’ordonnance, le pétitionnaire s’est désisté de son recours au fond, c’est à dire qu’il a considéré que le procès au fond n’était plus nécessaire (sans que la décision du Conseil d’Etat ne permette d’en connaitre la raison exacte). Le tribunal administratif a pris acte du désistement de la société de son instance au fond. Toutefois, moins de trois mois plus tard, la Mairie a finalement retiré la décision de permis de construire qu’elle avait accordé.
La société a donc été contrainte de solliciter de nouveau l’annulation de cette décision de retrait ainsi que la suspension de ses effets.
Elle soutenait notamment que les règles applicables au retrait du permis de construire (art. L.424-5 C. Urb.) faisaient obstacles à ce qu’un permis de construire puisse être retiré par l’Administration plus de trois mois après sa délivrance.
3- Le Conseil d’Etat répond par la négative en réaffirmant qu’un permis de construire délivré à la suite du réexamen de la demande ordonné par le juge des référés a, par sa nature même, un caractère provisoire jusqu’à ce qu’il soit statué sur le recours en annulation présenté parallèlement.
Il va cette fois encore plus loin en tirant les conséquences de cette précarité et en reconnaissant à l’Administration le pouvoir de retirer pendant un délai de 3 mois, décompté à partir de la notification du jugement intervenant au fond ou de la notification de la décision donnant acte du désistement, le permis de construire « provisoire » qu’elle a délivré, sous réserve que le pétitionnaire ait été mis à même de présenter des observations.
4- Le Conseil d’Etat incite également par cette décision à ce que la condition d’urgence du référé suspension soit appréhendée de façon encore plus approfondie.
Rappelons au préalable que pour demander au juge de suspendre le refus de l’administration de délivrer le permis de construire (comme décrit ci-avant), il faut que le pétitionnaire puisse démontrer qu’il est en situation d’urgence (art. L.521-1 CJA).
Or, le Conseil d’Etat indique dans cette décision que pour apprécier ou non l’existence d’une urgence justifiant une décision en référé – et donc potentiellement un permis de construire provisoire – le juge du référé doit tenir compte notamment des conséquences qui seraient susceptibles de résulter, pour les divers intérêts en présence, de la délivrance d’un permis de construire provisoire à l’issue d’un réexamen de la demande qu’il pourrait ordonner.
Aussi, il ne suffit désormais plus de démontrer qu’il y a urgence à obtenir une décision de l’administration : il faut aussi démontrer que la délivrance d’une décision provisoire et son exécution n’est pas elle-même susceptible de produire des conséquences que le juge doit prévenir.
5- En pratique, cette décision, bien que nécessaire, vient complexifier encore davantage le contentieux de l’urbanisme en diminuant les effets positifs pouvant être liés à la suspension d’une décision de refus d’un permis de construire mais surtout à la délivrance d’un permis de construire obtenu à la suite d’un réexamen ordonné par le juge des référés.
En effet, les constructeurs, bien que titulaires d’une autorisation d’urbanisme, seront toujours confrontés à une insécurité juridique tenant au fait que la légalité de leur permis puisse être remise en cause jusqu’à ce que le fond ait été définitivement tranché.
Ils devront donc redoubler de prudence en choisissant d’exécuter un permis de construire délivré « à titre provisoire » qui, bien qu’étant créateur de droits, ne garantit nullement la légalité de la construction réalisée sur son fondement.
En tout état de cause, cette situation confirme encore un peu plus qu’il y a lieu de s’interroger, pour chaque projet et dans chaque situation, sur les aspects juridiques et contentieux des autorisations administratives et d’analyser de façon approfondie les décisions et stratégies à adopter lors du montage et pendant l’exécution de projets de construction.
Emmanuelle Yvon
Avocate à la Cour