Contrat public : les personnes publiques candidates doivent agir dans le cadre de leur compétence (et ne doivent pas fausser la concurrence)
1- Les contrats publics sont ouverts à tous.
A ce titre les personnes publiques peuvent donc tout autant soumissionner aux contrats publics que n’importe quelle entreprise privée.
Toutefois, la spécificité de ces personnes publiques, par rapport aux entreprises privées, ne peut pas et ne doit pas être niée afin de s’assurer qu’elles candidatent à armes égales aux contrats publics (c’est à dire que les personnes publiques ne tirent aucun bénéfice de leur qualité de personne publique [et des moyens qui leur sont donnés à ce titre] pour intervenir dans le champ concurrentiel au détriment des entreprises privées).
2- Dans un avis du 8 novembre 2000 (Jean-Louis Bernard Consultant, n° 222208), le Conseil d’Etat avait déjà posé des garde-fous en indiquant que les personnes publiques candidates à un contrat public devaient déterminer leur prix de façon complète (c’est à dire en couvrant toutes les composantes du prix), neutre (c’est à dire sans utiliser ses moyens propres au service public) et objectivement (c’est à dire en pouvant en justifier).
Par cet avis, le Conseil d’Etat avait, pour l’essentiel, indiqué qu’une personne publique (en l’occurrence, un établissement public administratif) pouvait soumissionner à un contrat public (en l’espèce, une délégation de service public) comme une entreprise privée, mais à la condition de ne pas fausser la concurrence.
Précisons ici que cette règle a été clairement rappelée par le Conseil d’Etat dans sa décision Société Armor SNC (CE, Ass. 30 décembre 2014, req. n° 355563).
3- Mais, l’apport de la décision Société Armor SNC ne réside pas dans ce rappel au respect du droit de la concurrence : il réside dans la précision complémentaire énoncée quant à la capacité des personnes publiques (et plus précisément ici des collectivités territoriales) à agir comme une entreprise privée.
Le Conseil d’Etat a, en effet, jugé qu’il ne suffit pas que l’intervention de la personne publique soit neutre au plan concurrentiel (rappelant ainsi la règle déjà indiquée en 2000 dans l’avis précité – cf. pt 2 supra), encore faut-il que cette intervention réponde à un intérêt public.
Il rappelle à cet égard que les collectivités territoriales n’exercent leurs compétences qu’en vue de satisfaire un intérêt public local. Ces collectivités n’ont donc pas vocation à exercer d’activités en dehors de leur compétence et qui seraient étrangères à leur intérêt public local (lequel constitue leur raison d’être).
Par conséquent, toute personne publique qui envisage de soumissionner à un contrat public doit, au préalable et par principe, s’assurer qu’elle agit dans le cadre de ses compétences.
Il appartient, en tout état de cause, à l’acheteur public (au sens large du terme) qui identifie une personne publique parmi les candidats de vérifier par principe et au préalable qu’elle a pu légalement présenter sa candidature, c’est à dire qu’elle agit dans le cadre de ses compétences.
A défaut, la candidature de la personne publique doit être rejetée.
4- Pour vérifier si une personne publique candidate valablement à un contrat public, il faut donc s’assurer d’une part qu’elle agit dans le cadre d’une de ses compétences et d’autre part qu’elle vise ainsi à satisfaire intérêt public local.
Le Conseil d’Etat précise cependant que l’intérêt public local à satisfaire ne s’appréhende pas, nécessairement, de façon géographique.
Il considère en effet que la personne publique peut valablement candidater à un contrat public si l’exécution de dudit contrat constitue le prolongement d’une de ses missions de service public avec la perspective, notamment, d’amortir ses équipements, de valoriser ses moyens ou d’assurer son équilibre financier.
5- Dans l’affaire Société Armor SNC, le Conseil d’Etat a annulé l’arrêt d’appel car la Cour administrative d’appel de Nantes n’a pas examiné si la personne publique considérée (en l’occurrence, le département de la Charente-Maritime) avait agi en répondant au prérequis de l’intérêt public local.
Bien que cela ne soit pas précisé, l’on peut raisonnablement considérer que le Conseil d’Etat a pu estimer que la vérification de ce prérequis dépend de l’appréciation de faits ce qui l’a conduit à renvoyer l’affaire devant la Cour afin qu’elle examine précisément (et en faits) ce point.
Il conviendra donc de prendre connaissance des suites de cette affaire pour obtenir plus de précisions quant à la façon d’appréhender l’intérêt public local.
Cependant, en l’état tant les acheteurs publics que les entreprises doivent tirer les conséquences des précisions nouvelles apportées par le Conseil d’Etat dès lors qu’une personne publique candidate à un contrat public.
6- Du point de vue des entreprises, l’arrêt Société Armor SNC du 30 décembre 2014 offre un cadre salutaire et bienvenue permettant de se positionner précisément vis-à-vis des acheteurs publics.
En effet, dans la plupart des cas, les entreprises candidates aux contrats publics (marchés publics et délégations de service public) sont (ou devraient être) informées au moment du rejet de leur offre de l’identité de l’attributaire pressenti pour le contrat.
Dès lors que cet attributaire pressenti est une personne publique, il est conseillé aux entreprises candidates malheureuses de solliciter des informations précises auprès de l’acheteur public.
L’entreprise évincée peut, à partir de la décision Société Armor SNC, demander à l’acheteur public s’il a bien vérifié que la personne publique candidate, d’une part, a agi dans le cadre de ses compétences et, d’autre part, a bien déterminé son prix sans fausser la concurrence.
A défaut de réponse à bref délai ou à défaut de réponse adéquate, l’entreprise évincée qui estime qu’elle avait des chances sérieuses d’obtenir le contrat peut envisager d’agir pour empêcher la conclusion du contrat (en intentant un référé précontractuel) ou obtenir sa remise en cause (en contestant le contrat).
7- De notre point de vue personnel et donc au-delà de l’analyse qui précède, même s’il faudra attendre les retours d’expériences jurisprudentielles pour connaître plus précisément la façon dont la décision Société Armor SNC sera appréhendée et appliquée par les tribunaux administratifs et donc les perspectives réelles qu’elles offre aux entreprises, ces dernières ne peuvent qu’être encouragées à utiliser ce nouveau moyen d’action auprès des acheteurs publics.
En effet, bien qu’on ne connaisse pas à ce stade la perspective visée ou poursuivie par le Conseil d’Etat (relevons sur ce point que la décision Société Armor SNC a été l’objet d’un communiqué de presse qui n’apporte pas d’indication à cet égard), il peut se déduire de cette décision la volonté d’inciter les personnes publiques à se recentrer sur leurs compétences et leurs missions de service public en limitant leur propension à accroitre leurs interventions au-delà de leur raison d’être.
Dans le même temps, et avec une certaine forme d’équilibre, le Conseil d’Etat offre aux personnes publiques intervenantes sur le marché concurrentiel, des perspectives pour justifier leur interventionnisme.
C’est aussi précisément ce qui devrait le plus inciter les entreprises privées à agir systématiquement et immédiatement dans le prolongement de cette décision Société Armor SNC auprès des acheteurs publics pour limiter l’interventionnisme des personnes publiques.
Car, en effet, en considérant que l’intérêt public local peut être justifié par l’amortissement d’équipements, la valorisation de moyens ou l’équilibre financier du « service » (c’est à dire, a priori, de l’activité correspondante), le Conseil d’Etat permet aussi un accroissement « naturel » de l’activité concurrentielle des personnes publiques (dont on peut douter du caractère réellement souhaitable et opportun au regard de la priorité qui semble être donnée au recentrage des personnes publiques sur les missions de service public qui sont leurs …).
Par conséquent, il est légitime de considérer que plus les entreprises privées réagiront et agiront contre l’intervention des personnes publiques dans le marché concurrentiel plus ces dernières seront inciter à se recentrer sur leurs missions de service public.
Alexandre Le Mière
Avocat associé