Affaire LVMH contre eBay : le juge français se déclare compétent

Affaire LVMH contre eBay : le juge français se déclare compétent

A la fin de l’année 2006, plusieurs sociétés du groupe LVMH, dont Parfums Christian Dior, Kenzo et Parfums Givenchy, ont engagé une action devant le Tribunal de Grande Instance de Paris à l’encontre des sociétés eBay Inc., société de droit américain, et eBay International AG, société de droit suisse au titre d’actes de contrefaçon.

Ces grandes maisons de luxe françaises reprochent en effet principalement à ces dernières, d’une part, de permettre la vente de produits contrefaisants ou portant atteinte à leur réseau de distribution sélective sur les sites eBay.com et eBay.fr, et, d’autre part, de diffuser des annonces commerciales pour ces produits par le biais de mots-clés portant atteinte à leurs marques sur les moteurs de recherche sur Internet.

Devant le juge de la mise en état, les sociétés eBay ont soulevé une exception d’incompétence en arguant du fait que, selon elles, n’ayant aucune activité en France, elles ne seraient pas susceptibles de relever de la compétence du juge français. Plus spécifiquement, les défenderesses invoquaient le fait que les sociétés du groupe LVMH auraient été « incapables de caractériser un lien suffisant entre les faits allégués de contrefaçon et le dommage prétendument subi sur le territoire français ».

Pour leur part, les demanderesses soutenaient que les sites litigieux, et en particulier le site eBay.com, étaient accessibles au public français et visaient d’ailleurs ce dernier.

On se souvient en effet que l’un des critères retenus par la jurisprudence pour caractériser la compétence du juge français dans l’hypothèse d’un acte de contrefaçon sur Internet réside notamment dans le fait de savoir si le site litigieux vise ou non le public français, le critère de la langue étant alors déterminant. Le seul fait que le site soit accessible depuis la France n’est pas, en général, un critère suffisant pour justifier la compétence du juge, le caractère international du réseau ayant pour conséquence que tous les sites sont accessibles depuis la France. Raisonner ainsi aurait pour conséquence de conférer au juge national une compétence de principe s’agissant des délits sur Internet. Cette solution résulte notamment d’un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 6 juin 2007 rendu dans une affaire Google contre Axa.

En l’espèce, le juge de la mise en état a procédé à une analyse précise des pièces qui lui étaient soumises afin de trancher la question de sa compétence. Dans le cadre de la procédure, en effet, les sociétés du groupe LVMH ont versé aux débats plusieurs constats sur Internet réalisés par l’Agence pour la Protection des Programmes. Le juge de la mise en état, dans son ordonnance du 14 décembre 2007, a ainsi relevé que de nombreuses annonces publicitaires diffusées par le biais de liens commerciaux pour les sites eBay étaient affichées lors de recherches sur les marques des demanderesses.

Après avoir rappelé la règle en matière délictuelle selon laquelle est compétent le juge du lieu où le fait dommageable s’est produit (Convention de Lugano du 16 septembre 1988) ou a été subi (article 46 du Code de procédure civile), il a alors considéré :

– qu’il importait peu de savoir si les internautes pouvaient effectivement procéder à l’achat des produits litigieux depuis le territoire national,

– qu’il importait peu que certaines des pages web accessible via les annonces litigieuses fûssent en anglais, le site eBay.fr étant quant à lui en français et la rédaction des pages en anglais n’excluant pas nécessairement les internautes français du public visé,

– que les faits visés dans l’assignation étaient ainsi susceptibles d’avoir un impact économique sur le public français et de causer aux demanderesses un préjudice sur le territoire national.

Ainsi, le juge a conclu en faveur de sa compétence et a rejeté l’exception soulevée par les sociétés eBay.

Cette décision est intéressante notamment parce qu’elle relègue à un plan très accessoire le critère de la langue du site Internet sur lequel ont été constatés des actes de contrefaçon et qu’elle replace au premier plan le critère de l’accessibilité du site.

Ce faisant, elle semble ainsi trancher avec la jurisprudence précitée et renoue avec certaines décisions, dont l’arrêt Roederer du 9 décembre 2003 rendu par la première Chambre civile de la Cour de cassation. En effet, le critère même de « public visé » apparaît dès lors beaucoup plus simple à remplir si la langue importe peu et si l’on se réfère à la possibilité pour les internautes français de se rendre sur le site litigieux.

Cette décision donnera peut-être l’occasion à la Cour d’appel de Paris de se prononcer sur la question si les sociétés eBay devaient former contredit à son encontre.

Matthieu Berguig

Laisser un commentaire