Dans un arrêt rendu le 29 octobre 2025 (aff. T-565/24), le Tribunal de l’Union européenne a rappelé l’étendue de la protection conférée aux marques de renommée, lesquelles bénéficient d’une protection au-delà des produits et services désignés dans leur libellé.
La chronologie de cette affaire.
En mars 2022, la société américaine ITRON Inc., leader mondial des solutions d’énergie et d’eau, s’oppose à la demande de marque verbale européenne « ITRON » de la société française Advanced Sanitairy. L’opposition visait l’ensemble des produits en classes 9, 11 et 20, sur la base de marques verbales antérieures européennes « ITRON » désignant notamment la classe 9.
Les fondements juridiques invoqués étaient notamment ceux prévus à l’article 8, §1, b) et 8, §5 du règlement 2017/1001 sur la marque de l’Union européenne (RMUE).
Dans sa décision du 19 juin 2023, la division d’opposition de l’EUIPO a considéré que « l’opposante n’a pas prouvé que ses marques antérieures “ITRON” jouissent d’une renommée dans l’Union européenne », écartant ainsi l’application de l’article 8, §5, RMUE relatif aux marques de renommée. Toutefois, sur le fondement de l’article 8, §1, b), l’opposition a été partiellement accueillie pour certains produits de la classe 9.
Une appréciation sévère, notamment pour les produits restants de la classe 9, considérés comme non similaires alors même qu’ils appartenaient à la même classe. L’opposante, partageant ce constat, a formé un recours et a versé des éléments de preuves complémentaires destinés à établir la renommée de ses marques au sein de l’Union européenne.
Dans sa décision du 26 août 2024, la chambre des recours a confirmé la décision de la division d’opposition aux termes d’une argumentation hautement contestable.
Bien qu’admettant la renommée moyenne de la marque antérieure « ITRON » pour certain des produits visés en classe 9, dans plusieurs pays européens, la chambre des recours ne retient pas l’existence d’un lien entre les signes – pourtant identiques, au motif que « la distance entre les produits contestés des classes 9, 11 et 20 et les compteurs intelligents antérieurs renommés et la fourniture de solutions logicielles pour compteurs intelligents, pour lesquels la renommée de la marque antérieure n°1 a été établie, l’emporte sur tous les autres facteurs susceptibles de contribuer à l’établissement d’un lien, tels que la similitude entre les marques litigieuses et le degré de renommée de la marque antérieure n°1 » (point107).
Ce faisant, la chambre des recours vide de sa substance la protection élargie prévue à l’article 8, § 5 du RMUE, protection qui vise précisément à intervenir au-delà du champ des produits ou services similaires.
En accordant un poids décisif à la seule dissemblance des produits, la chambre des recours a méconnu l’exigence d’une appréciation globale, pourtant au cœur de la jurisprudence européenne.
Devant le Tribunal, l’EUIPO s’est finalement rallié à la position de l’opposante, reconnaissant implicitement la nécessité de corriger une motivation incompatible avec le régime particulier des marques de renommées.
Dans sa décision, le Tribunal retient qu’« en justifiant l’absence de lien entre les marques en conflit uniquement sur la base de la différence entre les produits et les services en cause, sans effectuer l’examen du caractère unique ou essentiellement unique de la marque antérieure n° 1 et, par conséquent, en omettant d’effectuer une appréciation de l’ensemble des facteurs pertinents […], la chambre de recours a commis une erreur de droit » (pt 50).
Le Tribunal réaffirme ainsi utilement que l’existence d’un lien dans l’esprit du public doit être appréciée globalement, en tenant compte notamment de la renommée et de la forte distinctivité du signe, et qu’une probabilité sérieuse d’atteinte (dilution, parasitisme ou atteinte à la renommée) suffit, sans qu’un préjudice concret immédiat soit exigé.
Equipe BCUBE