Contrat public : la méthode de notation irrégulière ne lèse pas toujours le candidat
1. Pour attribuer un marché public à un opérateur économique, l’acheteur doit mettre en place une procédure d’appel d’offres qui conduise (sauf exception) à choisir l’offre économiquement la plus avantageuse sur la base de critères de sélection qu’il a déterminé à l’avance (art. 52 de l’ordonnance du 23 juillet 2015).
Ces critères, qui tiennent généralement d’une part aux aspects économiques et/ou financiers de l’offre et d’autre part aux différents aspects qualitatifs et qui doivent faire l’objet d’une pondération (voir sur ces points l’article 62 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016), doivent cependant, pour pouvoir être appliqués, reposer sur une grille d’analyse ou une méthode de notation.
2. La méthode de notation arrêtée par l’acheteur public est à sa discrétion : c’est à lui qu’il revient de l’établir librement et comme il l’entend, étant indiqué qu’il n’a pas l’obligation d’en informer en amont les opérateurs économiques (mais il ne lui est pas interdit de le faire).
L’acheteur doit toutefois veiller à plusieurs paramètres, dans la mesure où sa méthode de notation ne doit pas conduire ou aboutir :
- à priver les critères de sélection de leur portée,
- ou à neutraliser la pondération des critères,
- ou encore, au regard de l’ensemble des critères pondérés, à choisir une offre qui ne serait pas économiquement la plus avantageuse (c’est à dire la mieux-disante).
3. Prenons à titre d’exemple (CE, 24 mai 2017, Société Techno Logistique, req. n° 405787), la procédure qui prévoit trois critères portant sur le prix (pondéré à 60%), sur la valeur technique (pondérée à 30%) et sur la politique sociale (pondérée à 10%).
S’agissant du prix, la méthode de notation arrêtée par l’acheteur conduit à attribuer des points « forfaitaires » : l’offre la moins élevée en prix obtient 20 points tandis que l’offre la plus élevée en prix obtient 0 point.
Or, en l’espèce, compte tenu du taux de pondération élevé du critère du prix (60%) l’attribution automatique de 20 points à l’offre dont le prix est le moins élevée a pour conséquence de rendre les deux autres critères inopérants.
Ajoutons que cette méthode de notation a pour effet de neutraliser totalement les écarts de prix : ainsi deux offres qui peuvent avoir un écart de prix relativement réduit vont se voir attribuer un nombre de points sans rapport avec cet écart. En effet, prenons trois offres de 110K€, 95K€ et 90K€ : la méthode de notation qui conduit à attribuer 20 points à 90K€, 10 points à 95K€ et 0 points à 110K€ ne reflètent pas les écarts réels de prix entre les offres.
En bref, dans la méthode de notation ainsi adoptée, il s’avère que seule l’offre la moins-disante est susceptible de remporter le marché. Une telle méthode de notation est donc irrégulière de sorte que la consultation devrait être jugée irrégulière.
4. Cependant, l’irrégularité de la méthode de notation ne peut emporter l’annulation de la procédure de consultation que dans la mesure où elle affecte effectivement et concrètement le candidat malheureux.
En effet, conformément à la jurisprudence du Conseil d’Etat, une irrégularité affectant une procédure d’appel d’offres ne peut aboutir à l’annulation de la procédure que si elle lèse le candidat qui invoque cette irrégularité.
Ainsi, dans le prolongement de l’exemple précité, si le prix de l’offre du candidat malheureux reste supérieur à celle de l’attributaire, et que par ailleurs ses notes sur les autres critères sont inférieures à celles de l’attributaire, cela signifie que son offre est globalement moins intéressante que celle de l’attributaire : elle n’aurait, en toute hypothèse, donc jamais pu être considérée la mieux-disante (c’est à dire économiquement la plus avantageuse).
L’irrégularité invoquée par le candidat malheureux est donc réelle et justifiée, mais s’avérant in fine sans incidence sur le rejet de son offre, ce dernier ne peut obtenir l’annulation de la procédure de passation.
5. Cette décision confirme, une nouvelle fois, qu’il appartient aux opérateurs économiques d’une part d’analyser très précisément les règlements de consultation afin de déceler d’éventuelles imperfections qu’il conviendrait de signaler en amont (pour notamment s’éviter de s’investir dans une procédure qui pourrait être remise en cause) et d’autre part d’examiner avec beaucoup de précision le résultat de l’appel d’offres afin notamment de prendre les « bonnes décisions » au regard d’éventuels actions en justice (pour éviter notamment d’engager une procédure alors qu’en réalité l’offre remise s’avère moins intéressante que celle du concurrent retenu).
Alexandre Le Mière
Avocat associé