Une salariée dénonçant des faits de harcèlement (sexuel et agression sexuelle en l’espèce) par email transmis tant à son employeur qu’à des personnes extérieures à celle-ci peut être condamnée pour diffamation publique (CEDH, 18 janv. 2024, no 20725/20, Allée c./ France)
- Les faits
La requérante exerçait les fonctions de secrétaire dans une association.
Elle adressa un email, depuis son adresse personnelle, dont l’objet était « Agression sexuelle, Harcèlement sexuel et moral ».
Les destinataires de cet email étaient le directeur général de l’association et, en copie, l’inspecteur du travail, son époux, le vice-président ainsi que les deux fils de ce dernier.
L’époux de la requérante relaya ses accusations sur le mur Facebook d’une connaissance, qualifiait le vice-président de « prédateur sexuel » et évoquait des faits de « viol ».
- La position de la Cour d’appel
Le 16 janvier 2018, le tribunal correctionnel de Paris déclara la requérante et son époux coupables de diffamation publique envers un particulier.
Ensuite de l’appel interjeté par la requérante, la cour d’appel de Paris, suivant arrêt du 21 novembre 2018, a confirmé partiellement le jugement en diminuant le montant de l’amende.
La requérante s’est pourvue en cassation en se fondant sur une violation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme sur la liberté d’expression et sur le droit d’alerte.
Par un arrêt du 26 novembre 2019, la Cour de cassation rejeta le pourvoi de la requérante et confirma la condamnation au titre de la diffamation publique.
La requérante a alors formé un recours devant la CEDH sur la base de la violation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
- Diffamation publique : Éléments constitutifs
L’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse définit la diffamation comme « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ».
Un salarié ne peut être poursuivi pénalement en raison de la dénonciation de faits de harcèlement auprès des organes chargés de veiller à l’application des dispositions du Code du travail (en l’espèce le directeur des ressources humaines, le CHSCT et l’inspection du travail (Cass. 1re civ., 28 sept. 2016, no 15-21.823).
Dans la situation d’espèce, la salariée avait adressé un email, non seulement au directeur général, au vice-président, à l’inspection du travail, mais également aux deux fils du vice-président, dont l’un n’exerçait aucune fonction au sein de l’association.
Un des fils et l’époux de la salariée étant des personnes totalement étrangères à l’association, la diffamation revêtait donc un caractère public.
- Attention à l’exception de bonne foi
La loi précitée sur la liberté de la presse prévoit un fait justificatif dans les actions en diffamation, à savoir l’exception de vérité.
Ainsi, si la personne poursuivie pour diffamation parvient à démontrer que les faits qu’elle a dénoncés sont exacts, la diffamation n’est plus constituée.
Compte tenu des difficultés pouvant être rencontrées pour justifier la réalité des faits allégués, il est également admis par la jurisprudence que la personne poursuivie puisse s’exonérer de sa responsabilité en démontrant sa bonne foi.
Toutefois, la Cour de cassation ne retient pas celle-ci en jugeant « que, s’il existe des éléments permettant d’établir la réalité d’un harcèlement moral, voire sexuel dans la perception qu’a pu en avoir Mme U…, rien ne permet de prouver l’existence de l’agression sexuelle, que celle-ci date de l’année 2015 et pour laquelle elle n’a pas déposé plainte et ne peut produire ni certificat médical ni attestations de personnes qui auraient pu avoir connaissance, si ce n’est des faits, au moins du désarroi de la victime. »