Télétravail : peut on rompre le contrat de travail d’un salarié qui déménage trop loin ? Oui, selon certains juges.

Selon un arrêt de la Cour d’appel de Versailles (CA Versailles 10-3-2022 no 20/02208) l’employeur peut légitimement notifier à un salarié exerçant son activité professionnelle en région parisienne son désaccord quant à son déménagement en Bretagne, au regard des contraintes de trajet imposées par la fixation du domicile à près de 450 kilomètres du lieu de travail.

En effet, cette distance excessive ne pouvait pas être acceptée par l’employeur compte tenu de son obligation de sécurité, et de son obligation de veiller au repos quotidien du salarié et à l’équilibre entre sa vie familiale et sa vie professionnelle dans le cadre de la convention de forfait en jours à laquelle il était soumis.

La cour d’appel de Versailles retient l’argument de l’employeur et admet que le salarié a commis une faute en refusant de revenir à proximité du siège social de l’entreprise. Le licenciement est jugé légitime.

  1. Les faits

Un salarié, responsable de support technique, a déménagé en Bretagne, à 450 kilomètres du siège de l’entreprise, situé dans les Yvelines.

L’employeur lui reprochait de ne pas l’avoir informé de ce changement, alors que son contrat de travail fixait son activité au siège de l’entreprise. Il considérait que ce nouveau domicile n’était pas compatible avec son obligation de sécurité en matière de santé des salariés et avec les déplacements professionnels induits par l’activité de l’intéressé. Il lui avait donc demandé de régulariser sa situation et de revenir en région parisienne. Le salarié, ayant refusé d’obtempérer, a été licencié.

Pour le salarié, au contraire, l’employeur était bien informé, comme le traduisent ses bulletins de paie, et cette modification n’a entraîné aucun retard ni aucune demande de prise en charge des frais induits par cette installation en Bretagne. Le salarié indiquait également qu’il passait moins de 17 % de son temps au siège de l’entreprise, le reste constituant des déplacements professionnels. Il se prévalait enfin de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme.

  1. L’employeur fait respecter son obligation de sécurité

Le raisonnement de la cour repose d’abord sur les exigences induites par les articles L 4121-1 et L 4122-1 du Code du travail : l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Le salarié doit prendre soin de sa santé et de sa sécurité.

Se fondant sur ces deux dispositions, les juges du fond valident la position de l’employeur refusant le déménagement du salarié « en raison de la distance excessive » qu’il engendre par rapport au lieu de travail. La cour rappelle en effet que le salarié se trouvait à 442 km du siège de l’entreprise, ce qui représentait 4 h 30 de trajet par la route et 3 h 30 par le train, et un éloignement des aéroports parisiens.

  1. L’employeur doit veiller au repos de son salarié

Le second argument retenu par la cour d’appel repose sur l’obligation pour l’employeur de veiller au repos quotidien du salarié et à l’équilibre entre sa vie familiale et sa vie professionnelle dans le cadre de la convention de forfait en jours à laquelle il était soumis (l’article L 3121-60 du Code du travail).

  1. Y a-t-il d’autres jurisprudences sur ce sujet ?

Oui.

Une cour d’appel avait déjà estimé que, si un salarié ne saurait se voir imposer un lieu de résidence particulier par son employeur, encore faut-il que le choix de son domicile personnel lui permette de consacrer le temps utile à son travail. Les juges du fond avaient considéré que tel n’était pas le cas lorsque le salarié avait gardé son domicile à 400 km de son lieu de travail et qu’il était ainsi amené à voyager pendant un temps qu’il aurait normalement dû passer à travailler (CA Toulouse 20-12-2001 no 01-2027).

  1. Tous les déménagements de salariés peuvent ils être sanctionnés par un licenciement ?


On peut penser que c’est la distance jugée excessive du déménagement qui a conduit à cette solution.

Une distance ou une durée de trajet moins importante n’aurait probablement pas suscité une telle position.

On peut également imaginer qu’à l’ère du télétravail la position de la cour d’appel pourrait être différente pour des postes qui se prêtent complètement à ce type d’activité, ce qui n’était pas le cas pour le salarié en cause.

  1. Attention toutefois aux risques d’un tel licenciement

Si l’employeur licencie le salarié pour avoir établit son domicile trop loin de son domicile, il existe un risque de nullité du licenciement et de réintégration au nom du droit au libre choix de son domicile. Il faudrait donc attendre une décision de la Cour de cassation sur ce sujet.

***
Benjamin Louzier
Avocat à la Cour, Associé