Contrat public : commande publique et rupture des relations commerciales établies
1. La commande publique couvre un champ très large de contrats conclus par des acheteurs publics et privés tels qu’ils sont définis par l’Ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics (cf. articles 9, 10 et 11).
Le principe, en matière de commande publique, est celui d’une remise en concurrence périodique des contrats/marchés, ce qui implique, naturellement, la cessation régulière des contrats en cours et la mise en œuvre d’une procédure d’appel d’offres pour conclure un nouveau marché/contrat.
2. Ce mécanisme conduit à s’interroger sur la combinaison de ce principe de remise en concurrence périodique avec les dispositions de l’article L.442-6-I-5° du Code de commerce qui dispose que le contractant qui rompt brutalement une relation commerciale établie engage sa responsabilité vis-à-vis de son cocontractant en l’obligeant à réparation.
En outre, en conséquence de ces dispositions, les opérateurs économiques victimes d’une rupture brutale des relations établies peuvent engager des actions préventives ou de sauvegardes, devant les juridictions judiciaires, par exemple en cessation du trouble manifestement illicite (art. 873 CPC).
Une procédure équivalente en reprise des relations contractuelles (art. L.521-1 CJA) peut être envisagée devant les juridictions administratives (voir notamment sur le sujet brève Redlink), sous la réserve, importante, de l’applicabilité de l’article L.442-6-I-5° du Code de commerce aux contrats administratifs (cf. brève Redlink).
3. L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 5 juillet 2017 « Port du Havre » (n° 17/08926) conduit à appréhender la notion de rupture des relations commerciales établies précisément au regard du principe de la remise en concurrence périodique.
L’affaire, relativement classique, opposait deux parties, liées par un contrat de droit privé, auquel le donneur d’ordre avait mis fin, conduisant son prestataire à engager une action en référé devant le juge judiciaire pour obtenir la poursuite des relations commerciales établies et la fixation d’un délai de préavis permettant de faire face à la rupture des relations contractuelles.
En défense le donneur d’ordre a notamment fait valoir, en dernière argumentation, que le prestataire ne pouvait pas se prévaloir d’une relation commerciale établie dès lors qu’il avait été choisi au terme d’un appel d’offres.
La Cour d’appel, reprenant cette argumentation en premier lieu, juge que « l’article L.442-6, I, 5° du code de commerce ne peut trouver à s’appliquer dans le présent litige » dès lors que le prestataire avait obtenu son contrat à la suite d’un appel d’offres, pour une durée déterminée et en étant informé dès l’origine qu’un nouvel appel d’offres pourrait être mis en œuvre au terme de la durée du contrat.
La motivation de la Cour est claire :
« [Le prestataire] ne peut faire état de relations commerciales établies depuis plus de vingt ans avec [le donneur d’ordre], les relations interrompues dont il est demandé réparation étant celles inaugurées par le contrat du 21 août 2012, sans qu’aucune continuité ne puisse être établie entre l’objet de ce contrat relatif à la concession exclusive [au prestataire] de la manutention des navires [du donneur d’ordre], et les relations antérieures entre [le prestataire] et [le donneur d’ordre].
Par ailleurs, la mise en concurrence de 2012 marque, dans ces relations, l’intervention d’un aléa concurrentiel qui les empêche d’être qualifiées de relations commerciales établies. Dès la conclusion du contrat, [le prestataire] savait que les prestations exécutées pour [le donneur d’ordre] ne dureraient que cinq ans, à savoir la durée [du donneur d’ordre], sans qu’aucune garantie ne lui ait été donnée par ailleurs d’un renouvellement à terme. Aucune certitude d’emporter l’appel d’offres de 2017 ne pouvait, en tout état de cause, lui être donnée, [le donneur d’ordre – composé de plusieurs sociétés] ayant par ailleurs vocation à changer fréquemment de composition. » (cf. 11ème page de l’arrêt).
4. Cet arrêt donne une réponse utile et intéressante – et, nous semble-t-il, logique – à la combinaison des deux règles apparemment contradictoires que sont le principe de remise en concurrence périodique et l’interdiction de rompre les relations commerciales établies.
Dès lors qu’un acheteur privé (auquel l’article L.442-6-I 5° C. Com. s’applique avec certitude) est soumis au droit des marchés publics (de l’Ordonnance du 23 juillet 2015) et qu’il conclut ses contrats (marchés) à la suite d’appel d’offres, son cocontractant ne saurait pouvoir lui reprocher la cessation du contrat en invoquant la rupture fautive des relations commerciales établies.
Alexandre Le Mière
Avocat associé