Contrats publics : abandon d’une procédure de passation d’un contrat public pour fusion de personnes publiques
De nombreuses lois favorisent le regroupement de personnes publiques dans le cadre d’opérations de fusion (d’établissements publics ou de collectivités locales).
Cette politique, qui existe depuis de nombreuses années, a été « relancée » par la loi NoTRe (nouvelle organisation territoriale de la République) du 7 août 2015, dont la mise en œuvre suscite de nouvelles interrogations dans le domaine des contrats publics.
1- Dans la mesure où ces fusions impactent le sort des titulaires de contrats publics, le législateur a prévu dans la loi NoTRe, d’une façon générale et sous réserve d’adaptation à des situations spécifiques, que les contrats en cours sont exécutés dans les conditions antérieures jusqu’à leur échéance, sauf accord contraire des parties.
Il est également prévu d’une façon générale que les cocontractants sont informés de la substitution de personne morale par la personne publique compétente et que cette substitution n’entraîne aucun droit à résiliation ou à indemnisation pour le cocontractant.
Ces dispositions ne sont qu’une répétition dans la mesure où le législateur a déjà pu prévoir ce type de mécanisme antérieurement (voir notamment : la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales ; la loi n° 2010-853 du 23 juillet 2010 relative aux réseaux consulaires, au commerce, à l’artisanat et aux services ; ou encore la loi n° 2014-773 du 7 juillet 2014 d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale), dont il arrive qu’il donne lieu à contentieux (cf. par ex. : CE, 4 mai 2011, Société Oxygène Action, req. n° 338411).
En matière de fusion/modification de personnes publiques, il est donc fréquent que la loi règle la question et les modalités du transfert de contrats (sans au demeurant s’interroger sur les conséquences ou impacts potentiels sur l’exécution du contrat et sur la situation du cocontractant de l’administration et donc sur l’équilibre contractuel).
2- En revanche, la loi ne règle pas la question de la poursuite d’une consultation en cours relative à la passation d’un contrat.
Plusieurs députés et sénateurs ont interrogé le gouvernement sur ce sujet à la fin de l’année 2016 en raison des fusions en cours mises en œuvre du fait de la loi NoTRe, lequel y a répondu au cours des mois de février et mars 2017.
Après avoir relevé que la réglementation issue de la loi NoTRe n’envisage pas l’hypothèse du changement de personne publique en cours de consultation, le gouvernement a indiqué qu’il considère que les personnes publiques ont la faculté de poursuivre les procédures de passation en cours, ou bien de l’abandonner pour un motif d’intérêt général.
3- Cette question n’est pas neutre pour les opérateurs économiques.
Outre qu’on peut s’interroger sur l’automaticité qu’il pourrait y avoir entre une fusion de personnes publiques et l’abandon d’une procédure de passation d’un contrat public (dans la mesure où, d’une part, cet abandon ne peut pas être totalement discrétionnaire et ou, d’autre part, les besoins initialement exprimés peuvent parfaitement perdurer même après la fusion), il y a également lieu de se demander si les candidats potentiels à un contrat public ne devraient pas être systématiquement informés de la perspective d’une telle fusion (que les personnes publiques ne peuvent évidemment pas ignorer).
En effet, il est légitime que les candidats soient a minima informés du risque potentiel que la procédure de consultation dans laquelle ils s’investissent puisse ne pas être poursuivie.
Il est également légitime que les candidats soient informés des modifications d’organisation de la personne publique et donc, possiblement, des modalités matérielles ou concrètes d’exécution du contrat.
Il est tout aussi légitime qu’ils soient informés du changement possible de futur cocontractant public. A cet égard, la liberté des opérateurs économiques portent également sur celle de choisir librement son cocontractant, c’est à dire de décider de répondre – non – à une consultation. Cette liberté doit être d’autant mieux appréhendée que certains opérateurs économiques se refusent à soumissionner à contracter avec certaines personnes publiques parce qu’elles sont jugées non fiables lors des processus de passation ou réputées ne pas agir de bonne foi lors de l’exécution du contrat.
Or, il très fréquent – pour ne pas dire quasi-systématique – que les personnes publiques fixent un délai de validité des offres qui a pour effet d’interdire à un candidat de retirer son offre en cours de consultation (CE, 21 mars 1962, Société nationales des chantiers de reconstruction, req. n° 52304). Dans ce contexte, une fois l’offre déposée, l’opérateur économique ne peut donc plus revenir en arrière.
La position du gouvernement interroge donc quelque peu car elle confrère une faculté (présentée comme étant quasi-discrétionnaire) à la personne publique de faire ce qu’elle veut, sans ménager aucune liberté à un opérateur économique candidat.
4- Il appartient donc aux opérateurs économiques de s’intéresser de près à ces opérations de fusion d’une part pour anticiper et gérer leur avenir pour les contrats en cours et d’autre part pour statuer sur l’opportunité de répondre à une consultation dont l’avenir n’est nullement assurée …
Alexandre Le Mière
Avocat associé