Marché public : le manque de références analogues ne suffit pas pour écarter la candidature
1- Pour accéder aux marchés publics les entreprises doivent montrer qu’elles ont une connaissance du « métier » et qu’elles sauront exécuter les missions et prestations attendues par l’acheteur public.
C’est cette connaissance du « métier » qui autorise les entreprises à se porter utilement candidates aux marchés publics.
En effet, les acheteurs publics ont l’obligation de vérifier préalablement les compétences de principe requises pour exécuter le marché projeté (art. 52 CMP). A cette fin ils peuvent demander aux candidats des informations permettant d’évaluer leur expérience, leurs capacités professionnelles, techniques et financières (art. 45 CMP).
2- Cependant, la connaissance « métier » ne signifie évidemment pas que seules les entreprises ayant déjà acquis une expérience équivalente au marché projeté peuvent valablement se porter candidates à un marché public.
En effet, « l’absence de références relatives à l’exécution de marchés de même nature ne peut justifier l’élimination d’un candidat et ne dispense pas le pouvoir adjudicateur d’examiner les capacités professionnelles, techniques et financières des candidats. » (art. 52 CMP).
Cela signifie que toute entreprise qui a la connaissance « métier » correspondant au marché projeté peut prétendre à l’emporter même si elle n’a pas de références analogues, à charge pour elle de démontrer que les capacités dont elle dispose lui permettront de l’exécuter pleinement.
3- Le Conseil d’Etat a rappelé cette règle (CE, 7/2 SSR, 17 juin 2015, Société Philip Frères, req. n° 388596) en jugeant que l’acheteur public ne peut se borner à constater que le candidat ne produit pas de références de marchés de même nature pour juger sa candidature irrecevable.
Ainsi, le seul fait de ne pas avoir de références analogues au marché projeté n’autorise pas l’acheteur public à rejeter la candidature de l’entreprise. Toute décision de rejet reposant sur ce seul motif est irrégulière.
L’acheteur public a l’obligation d’examiner et d’apprécier les capacités professionnelles et techniques de la société candidates indépendamment de l’absence de références analogues.
4- Dans cette même affaire, le Conseil d’Etat a également indiqué que l’acheteur public qui aurait mal motivé sa décision de rejet a droit à une séance de rattrapage.
L’acheteur public qui rejette la candidature d’une entreprise en indiquant seulement qu’elle ne disposait pas de références analogues a la possibilité, après coup, de démontrer qu’il a effectivement examiné et apprécié les capacités du candidat.
Dans ce cas, si la candidature est réellement insuffisante, son rejet reste valable.
En revanche, s’il apparait que le rejet de la candidature n’est pas justifié dès lors que l’entreprise disposait réellement d’une connaissance « métier » alors la décision est irrégulière.
Les entreprises candidates aux marchés publics doivent cependant avoir à l’esprit que le juge ne contrôle pas dans le détail l’appréciation portée par l’acheteur sur l’adéquation entre l’objet du marché et les capacités présentées par le candidat. En effet, seules les grossières erreurs d’appréciation sont sanctionnées.
5- Au plan pratique, cette décision doit :
- d’abord (et encore), inciter les entreprises candidates à un marché public à être très vigilante sur le contenu de leur dossier de candidature ;
l’absence de référence n’étant pas un obstacle, il leur appartient d’adapter précisément la présentation de leurs capacités à chaque consultation pour convaincre l’acheteur de leurs capacités (étant rappelé que les candidats ne disposant pas d’une séance de rattrapage, ce qui n’est pas dans leur dossier remis « n’existe pas », en ce sens que le dossier ne peut pas être complété a posteriori) ;
- ensuite, conduire les entreprises candidates à demander immédiatement aux acheteurs publics les motifs détaillés du rejet de leur candidature lorsqu’elle est rejetée en raison d’un manque de références analogues ;
cependant, compte tenu du droit au rattrapage dont bénéficie les acheteurs publics, cette démarche doit être conduite prudemment afin de réduire les possibilités pour l’acheteur public de créer a posteriori une motivation juridiquement conforme.
Cette décision permet enfin également aux entreprises d’apprécier plus précisément la situation lorsqu’elles voient leur candidature rejetée.
Au-delà du motif formel retenu et exposé par l’acheteur public, ce qui compte concrètement c’est la capacité effective à exécuter le marché : si l’entreprise estime qu’elle dispose de cette capacité, elle peut alors envisager de contester la décision de l’acheteur public (lequel se prive en réalité d’un candidat valable et du bénéfice d’une meilleure concurrence). A l’inverse, si les capacités sont insuffisantes, toute contestation est inutile.
Alexandre Le Mière
Avocat associé