Contrats publics : les conséquences de la passation irrégulière
1. La quasi-totalité des contrats publics (marché public, délégation de service public, contrat de partenariat, convention d’aménagement, bail emphytéotique administratif et hospitalier … etc) sont soumis à des procédures de passation réglementées.
Les personnes publiques doivent mettre en oeuvre des procédures de publicité et de mise en concurrence afin d’assurer aux opérateurs économiques la neutralité administrative et politique du processus d’achat ainsi que le choix de la meilleure offre au plan technico-financier.
2. Ces procédures n’étant pas toujours exemptes d’imperfections et donc d’irrégularités, une question déterminante est de savoir quelles peuvent être la portée et la sanction des fautes ou erreurs commises lors de la passation du contrat.
Le Conseil d’Etat a lancé en 2007 un vaste chantier de réforme et de rationalisation du traitement des contrats irréguliers (cf. nota : CE, Ass., 16 juillet 2007, Tropic Travaux Signalisation, req. n° 291545 ; CE, Ass., 28 décembre 2009, Commune de Béziers I, req. n° 304802) qu’il précise, au fur et à mesure, par « touches » successives.
En l’état de cette réforme en chantier « permanent », le juge administratif qui doit trancher un litige relatif à l’illégalité d’un contrat doit, en fonction de la nature et de l’importance des irrégularités constatées :
- soit permettre la poursuite du contrat,
- soit résilier le contrat (seulement pour l’avenir),
- soit annuler le contrat (c’est à dire y compris pour le passé).
3. Ce panel de solutions impliquent de déterminer les situations dans lesquelles le contrat peut être poursuivi ou bien doit être résilié ou annulé.
Le Conseil d’Etat, qui considère que la « protection » du contrat doit être un objectif majeur, estime que seules les illégalités d’une « particulière gravité » peuvent emporter l’annulation (donc rétroactive) du contrat.
Dans sa dernière décision sur ce thème (CE, 10 décembre 2012, Société Lyonnaise des Eaux, req. n° 355127), le Conseil d’Etat a indiqué – par défaut – qu’une illégalité d’une « particulière gravité » est un fait qui :
- soit, affecte le consentement de la personne publique,*
- soit, affecte le bien-fondé même du contrat,
- soit, révèle que la personne publique a eu la volonté de favoriser un candidat.
Hormis ces situations, le Conseil d’Etat considère qu’une illégalité peut être « seulement » grave : dans ce cas, le contrat ne peut pas être annulé, mais il doit être résilié.
4. En l’espèce, dans l’affaire jugée le 10 décembre 2012, la personne publique avait lancé une procédure de délégation de service public sans annoncer les critères de sélection des offres.
Le Conseil d’Etat indique que cette omission constitue un vice (seulement) « grave » affectant la procédure de passation (mais non un vice d’une « particulière gravité »).
Après avoir relevé que ce vice grave n’était pas régularisable a posteriori, le Conseil d’Etat juge que ce vice implique la résiliation du contrat.
Il précise cependant (dans le cas d’espèce) que cette résiliation peut être différée dans le temps afin de ne pas interrompre la continuité du service public.
5. Les pouvoirs donnés au juge administratif pour traiter le contrat illégal intéressent particulièrement les opérateurs économiques dans la mesure où ils sont concernés
- soit en tant que titulaire du contrat : leur attention doit dès lors être éveillée dès que le contrat fait l’objet d’une contestation afin de mesurer les risques et les conséquences d’une annulation ou d’une résiliation ;
- soit en tant que « tiers », c’est à dire en tant que concurrent malheureux n’ayant pas remporté le contrat : ils disposent alors de recours potentiellement efficaces et efficients pour faire valoir leurs droits.
Alexandre Le Mière
Avocat associé