La Cour de cassation confirme la jurisprudence Tiscali

La Cour de cassation confirme la jurisprudence Tiscali

L' »affaire Tiscali », véritable feuilleton judiciaire, vient de trouver un dénouement surprenant avec la décision de la première Chambre civile de la Cour de cassation du 14 janvier 2010, qui risque de faire couler beaucoup d’encre et susciter une certaine appréhension chez nombre d’opérateurs sur Internet.

Rappelons que cette affaire avait pris naissance avec la publication, sur une page personnelle « hébergée » chez Tiscali, de bandes dessinées numérisées de Blake & Mortimer et Lucky Luke. Les sociétés Dargaud Lombard et Lucky Comics, titulaires des droits de propriété intellectuelle sur ces oeuvres, avaient assigné la société Tiscali Media pour contrefaçon et pour faute.

Le Tribunal de grande instance de Paris avait rejeté l’action en contrefaçon mais condamné Tiscali Media pour faute, au titre du non respect de l’article 43-9 de la loi du 30 septembre 1986, modifiée par la loi du 1er août 2000, qui lui faisait obligation de conserver les coordonnées des titulaires de pages personnelles. En l’espèce, les données fournies ne permettaient pas d’identifier sérieusement l’exploitant des pages litigieuses.

En appel, la Cour de Paris avait, le 7 juin 2006, contre toute attente, condamné Tiscali Media pour contrefaçon après avoir considéré que cette société était éditrice de la page personnelle en cause : « si la société Tiscali Media a (…) exercé les fonctions techniques de fournisseur d’hébergement, circonstance au demeurant non contestée, son intervention ne saurait se limiter à cette simple prestation technique dès lors qu’elle propose aux internautes de créer leurs pages personnelles à partir de son site www.chez.tiscali.fr (…) de sorte que la société Tiscali Media doit être regardée comme ayant aussi la qualité d’éditeur dès lors qu’il est établi qu’elle exploite commercialement le site www.chez.tiscali.fr puisqu’elle propose aux annonceurs de mettre en place des espaces publicitaires payants directement sur les pages personnelles (…) ».

Cette décision avait suscité de nombreuses interrogations sur la notion d’éditeur par rapport à celle de prestataire d’hébergement : le fait de percevoir des revenus publicitaires suffit-il à basculer d’une qualité (hébergeur) à l’autre (éditeur) ? Qu’en est-il des sociétés permettant le partage de vidéos, d’images, etc ? La tendance générale, en doctrine, consistait à minimiser sa portée.

Arrêt d’espèce ou arrêt de principe ? La question n’est pas parfaitement tranchée par la Cour de cassation, mais son arrêt du 14 janvier 2010 contredit l’analyse selon laquelle la décision de la Cour d’appel était infondée. La Cour suprême confirme en effet que Tiscali Media n’était pas hébergeur en l’espèce : « l’arrêt relève que la société Tiscali Media a offert à l’internaute de créer ses pages personnelles à partir de son site et proposé aux annonceurs de mettre en place, directement sur ces pages, des espaces publicitaires payants dont elle assurait la gestion ; par ces seules constatations souveraines faisant ressortir que les services fournis excédaient les simples fonctions techniques de stockage, visées par l’article 43-8 de la loi du 30 septembre 1986 dans sa rédaction issue de la loi du 1er août 2000 applicable aux faits dénoncés, de sorte que ladite société ne pouvait invoquer le bénéfice de ce texte, la décision de la cour d’appel est légalement justifiée ».

L’arrêt de la Cour est riche d’enseignements et de questions en suspens :

en premier lieu, il vise expressément la gestion d’espaces publicitaires payants. Cette prestation justifierait donc que Tiscali Media ne puisse revendiquer la qualité d’hébergeur. Il n’en demeure pas moins que la qualification reste douteuse si une régie publicitaire autonome réalise cette prestation ;

en deuxième lieu, la notion de prestataire d’hébergement semble, selon la Cour de cassation, réduite au seul stockage de données, c’est-à-dire une fonction purement technique, alors qu’elle a connu, ces dernières années en jurisprudence, une expansion manifeste, à telle enseigne qu’une plateforme de blogs ou un site d’enchères en ligne sont aujourd’hui largement considérés comme des hébergeurs ;

en troisième lieu, des interrogations sur la portée de l’arrêt subsistent dès lors que l’attendu de la Cour se réfère expressément au pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond. Il ne s’agit donc peut-être pas d’un arrêt de principe, dont la solution pourrait être étendue à toutes les sociétés qui proposent des services en ligne, comme des blogs, des pages personnelles, des annonces, etc. ;

enfin, l’arrêt ne vise que les dispositions de la loi du 1er août 2000, en sorte qu’il subsiste une incertitude sur la valeur de la solution au regard de la loi du 21 juin 2004 sur la confiance dans l’économie numérique, qui a abrogé l’article 43-8 de la loi du 30 septembre 1986…

En somme, cet arrêt, qui semble aller à contre-courant de la jurisprudence des juges du fond (si l’on excepte, bien entendu, la jurisprudence Tiscali) et aux recommandations du Forum des droits sur Internet, pourrait bien donner lieu à nombre de revirements dans les mois qui viennent…

Matthieu Berguig

Avocat à la Cour

Spécialiste en Droit de la propriété intellectuelle

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