Le distributeur de bonne foi bénéficie de la garantie d’éviction en matière de droit d’auteur
La première Chambre civile de la Cour de cassation a rendu le 13 mars dernier une importante décision en matière de garantie d’éviction dans le domaine de la propriété littéraire et artistique.
Il est extrêmement fréquent que l’auteur d’une création (par exemple un vêtement ou un motif) qui constate qu’un produit contrefait son oeuvre décide d’assigner en contrefaçon le vendeur ce produit pour réclamer l’indemnisation de son préjudice. Or ce vendeur n’est souvent qu’un distributeur : grand magasin ou grande surface, il n’a pas nécessairement participé à la création du produit en cause, voire n’a mis à la disposition d’un tiers qu’un simple stand lui permettant de proposer ses marchandises au public (comme c’est le cas pour certains grands magasins parisiens).
A cet égard, de très nombreuses décisions ont condamné le vendeur pour les actes de contrefaçon commis au préjudice de l’auteur, sans prendre en compte le rôle limité de ce vendeur dans le processus de conception du produit contrefaisant. Dans la mesure où la bonne foi est inopérante en matière de contrefaçon, les juridictions ne s’attachaient pas à cette absence d’implication.
Pis, elles considéraient parfois que la simple qualité de professionnel du vendeur suffisait à le rendre en quelque sorte « complice » (non au sens pénal) des actes de contrefaçon, puisqu’il aurait dû, selon ces décisions, savoir que le produit en cause était contrefaisant. De la sorte, le vendeur professionnel ne pouvait pas bénéficier de la garantie d’éviction prévue à l’article 1626 du Code civil.
C’est d’ailleurs la solution qu’avait retenu la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 22 mars 2006 en condamnant la société La Redoute au titre d’actes de contrefaçon d’un motif « épi de blé » reproduit sur des vêtements vendus dans son célèbre catalogue et en refusant de la faire profiter de cette garantie. En l’espèce, ces vêtements avaient été fournis par un tiers, qui d’ailleurs ne les avait pas lui-même fabriqués mais se contentait de les vendre à des distributeurs.
La Redoute avait formé un pourvoi en cassation à l’encontre de cet arrêt et, par une décision du 13 mars 2008, la Cour de cassation lui a donné raison. Cet arrêt a en effet cassé l’arrêt d’appel en lui reprochant d’avoir exclu le recours en garantie de La Redoute en raison de sa seule qualité de professionnel.
Selon l’arrêt rendu au visa de l’article 1626 du Code civil, « la Cour d’appel ne pouvait exclure l’action en garantie dirigée contre le vendeur [fournisseur] en opposant à l’acquéreur [La Redoute] sa seule qualité de professionnel et sans constater que ce dernier avait eu une connaissance effective de l’existence de la contrefaçon ».
En d’autres termes, la garantie d’éviction ne peut être exclue que si le distributeur savait pertinemment que les produits qu’il présentait dans son catalogue portait atteinte à un droit de propriété intellectuelle. Il s’agit donc d’apprécier de la bonne ou mauvaise foi du distributeur en l’espèce, c’est-à-dire dans un cas de contrefaçon.
La solution, qui semble faire preuve d’un grand classicisme, est pourtant relativement novatrice en droit de la propriété intellectuelle. Elle signifie, en tout état de cause, que les distributeurs pourront dorénavant exercer plus facilement un recours en garantie contre leurs fournisseurs indélicats qui leur proposent des produits contrefaisants.
On notera à cet égard que la condition de « connaissance effective » posée par la Cour de cassation pour exclure le bénéfice de la garantie d’éviction semble s’opposer à l’admission d’une présomption de bonne ou mauvaise foi dans ce domaine.
Matthieu Berguig
Avocat à la Cour