Affaire Areva : selon la Cour de cassation, Greenpeace n’a pas abusé de la liberté d’expression
L’affaire opposant les associations Greenpeace France et Greenpeace New-Zeland (« Greenpeace ») au groupe nucléaire français Areva fait figure de feuilleton judiciaire, qui vient de connaître un nouveau rebondissement avec l’arrêt de la première Chambre civile de la Cour de cassation du 8 avril 2008.
Le litige portait sur l’utilisation par Greenpeace, sur son site Internet, du logo d’Areva (un A stylisé) ayant fait l’objet d’un détournement puisqu’associé à une tête de mort et au slogan « Stop plutonium, l’arrêt va de soi ».
Areva avait d’abord assigné Greenpeace en référé pour faire supprimer le logo en question du site Internet, puis, au fond, pour obtenir la condamnation de l’association au titre d’actes de contrefaçon de marque et d’actes fautifs consistant prétendument dans la dévalorisation de l’image de ces marques.
Alors qu’en référé le Président du Tribunal de Grande Instance de Paris avait débouté Areva de ses demandes en considérant que Greenpeace n’avait fait qu’user de sa liberté d’expression, la Cour d’appel de Paris, au fond, avait condamné l’association, à la fois sur le fondement de l’atteinte aux marques d’Areva pour reproduction par imitation, ainsi que sur celui de l’abus de la liberté d’expression.
Greenpeace avait formé un pourvoi en cassation à l’encontre de cette décision. La question de la contrefaçon de marque ne se posait pas devant la Cour de cassation. En effet, Greenpeace critiquait la décision des juges du fond uniquement en ce qui concerne le second grief, celui du dénigrement et de l’éventuel exercice de la liberté d’expression.
Ainsi, elle reprochait en premier lieu à la Cour d’appel d’avoir utilisé un fondement erroné en retenant un acte fautif au titre de l’article 1382 du Code civil, alors que, selon elle, les faits relevaient en réalité de la loi sur la presse de 1881 et plus particulièrement des dispositions relatives à la diffamation. Selon le pouvoi, « l’action qui vise l’atteinte à la réputation d’une société par l’utilisation de la marque et de son image a pour effet de la soumettre aux conditions dérogatoires du droit de la presse de la loi du 29 juillet 1881 ».
Cependant, la Cour de cassation a refusé de suivre Greenpeace dans ce raisonnement. Elle a considéré que la Cour d’appel avait exactement retenu « que les actes reprochés (…) par l’utilisation litigieuse [des marques d’Areva] ne visaient pas la société mais les marques déposées par elle et en conséquence les produits ou services qu’elles servent à distinguer ». En d’autres termes, point d’atteinte à l’honneur de la société en l’espèce, mais uniquement une atteinte aux activités de la société. De la sorte, les dispositions relatives à la diffamation n’étaient pas applicables.
En second lieu, Greenpeace critiquait l’arrêt de la Cour d’appel en ce qu’il avait jugé que l’association avait abusé de la liberté d’expression. Selon cette décision, l’utilisation du logo d’Areva détourné « conduisait à penser que tout produit ou service diffusé sous ce sigle était mortel ; que de ce fait, en raison de la généralisation qu’elles introduisaient sur l’ensemble des activités de la société, les associations allaient au-delà de la liberté d’expression permise, puisqu’elles incluaient des activités qui n’étaient pas concernées par le but qu’elles poursuivaient en l’espèce, c’est-à-dire la lutte contre les déchets nucléaires ».
Sur ce point, la Cour de cassation a donné raison à l’association en censurant l’arrêt de la Cour d’appel au visa de l’article 1382 du Code civil et de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour suprême a en effet considéré que Greenpeace avait tout simplement agi « conformément à son objet, dans un but d’intérêt général et de santé publique par des moyens proportionnés à cette fin ». Dans ces conditions, elle n’avait pas abusé de son droit de libre expression.
La solution est à rapprocher de la célèbre affaire opposant Greenpeace à Esso : par un arrêt du 16 novembre 2005, la Cour d’appel de Paris avait également considéré que l’association n’avait pas abusé de son droit à la libre expression en parodiant le logo de la compagnie pétrolière. Les deux solutions se rejoignent donc.
A noter que dans l’affaire Areva, la Cour de cassation a mis fin au litige conformément aux dispositions de l’article 627 alinéa 2 du Code de procédure civile, qui l’y autorise « lorsque les faits, tels qu’ils ont été souverainement constatés et appréciés par les juges du fond, lui permettent d’appliquer la règle de droit appropriée ».
Matthieu Berguig
Avocat à la Cour