Harcèlement moral : attaquer le médecin qui rédige un certificat médical de complaisance

En cas de harcèlement moral, pour établir le lien de causalité entre le comportement de l’auteur et l’atteinte à la santé psychique de la victime, les juges sont particulièrement sensibles à la production d’un certificat médical qui, parce que son auteur est doté d’une compétence technique et est extérieur aux faits, emporte une force probante importante.

En droit, selon une jurisprudence constante, le médecin du travail est le seul à pouvoir entendre le salarié, l’employeur et les collègues de travail, peut mettre en évidence un lien de causalité entre l’état psychique dégradé du salarié et son contexte professionnel.

On voit souvent dans les dossiers contentieux des certificats médicaux de complaisance de médecins divers, ce qui peut entrainer d’importantes sanctions disciplinaires. Il faut donc attaquer la validité du certificat médical devant le Conseil de l’Ordre, ce qui est ensuite une arme redoutable devant le juge car le certificat n’a plus de valeur.

En effet (CSP art. R 4127-76) :

« L’exercice de la médecine comporte normalement l’établissement par le médecin, conformément aux constatations médicales qu’il est en mesure de faire, des certificats, attestations et documents dont la production est prescrite par les textes législatifs et réglementaires. » 

Exemples concrets issus de la jurisprudence de la Chambre Nationale des Médecins :

  • Affirmation hasardeuse d’un lien de causalité entre l’état de santé psychique de la victime et la dégradation de ses conditions de travail alors que le médecin n’avait pu, personnellement, les constater.
  • Sanction du médecin qui mentionne « une décompensation anxio-dépressive réactionnelle à une situation de conflit personnelle » 
  • Sanction du médecin qui qualifie juridiquement les faits ou les impute à une personne identifiée. « L’existence d’un « harcèlement moral professionnel » est une appréciation qui « ne saurait relever des constatations de nature exclusivement médicale que les médecins sont habilités à faire à partir de l’examen de leurs patients ».
  • Ainsi un psychiatre a été temporairement interdit d’exercer la médecine pendant trois mois pour avoir fait mention d’une situation de « malaise avec angoisse intense sur le lieu de travail (suite au harcèlement moral et à la souffrance au travail) (anxiété massive et troubles du sommeil) » .
  • Un autre a été sanctionné d’un avertissement pour s’être interrogé sur une éventuelle « mise en danger d’autrui » et atteste d’une « maltraitance professionnelle ».
  • Sanction du médecin s’approprie les dires de la victime plutôt que de faire état des propos du patient. Le Conseil national de l’ordre des médecins le rappelle : « S’il peut faire état de propos du patient se rapportant à l’origine de l’affection constatée, des dires relatifs aux causes de l’affection ou de la blessure constatée, il doit veiller à ne pas se les approprier s’il n’a pas été en mesure d’en vérifier la véracité. » .

Benjamin LOUZIER

Associé/Partner

Avocat Spécialiste en droit social/Expert in Labour Law

Licenciement économique : attention à la notion de secteur d’activité

Lorsqu’un licenciement économique est envisagé dans une entreprise appartenant à un groupe, le motif économique doit être apprécié, non pas à l’échelle de l’entreprise, mais au niveau du secteur d’activité commun avec les autres entités du groupe situées sur le territoire national (C. trav., art. L. 1233-3). 

Un arrêt rendu le 8 novembre par le Conseil d’État (Conseil d’État, Chambres réunies, Décision nº 469696 du 8 novembre 2024, Requête nº 24-566 bis) précise que la spécialisation de l’entreprise ne suffit pas à exclure son rattachement à un secteur d’activité plus étendu.

  1. Les faits :

Dans le cadre d’une réorganisation nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité, un groupe avait décidé de fermer l’un de ses sites et élaboré un PSE.

L’inspecteur du travail avait, après avoir vérifié les circonstances de la rupture.

Un litige s’est toutefois noué autour du secteur d’activité retenu par l’employeur et l’administration pour l’appréciation de la cause économique du licenciement.

Le groupe était structuré en trois segments d’activité distincts : la dermatologie de prescription, la dermatologie esthétique et correctrice, et la dermatologie cosmétique grand public. L’entreprise étant spécialisée dans le domaine de la dermatologie de prescription, l’employeur et l’inspecteur du travail avaient jugé opportun d’apprécier le motif économique à l’échelle de ce seul secteur, ce que contestait la salariée.

 2. La décision

L’inspecteur du travail ne peut se limiter au secteur d’activité dans lequel l’entreprise est spécialisée pour apprécier le bien-fondé du motif économique. Il doit évaluer la situation de l’ensemble des entreprises du groupe intervenant dans le même secteur d’activité caractérisé, notamment, par la nature des produits, biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, ainsi que les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché (C. trav., art. L. 1233-3).

Le Conseil d’État a application des principes précités aux circonstances de l’espèce. Il a relevé que :

– la société intervenait dans les trois segments d’activité du groupe ;

– les produits des trois secteurs étaient indistinctement conçus, fabriqués et distribués par les mêmes divisions du groupe ;

– le groupe poursuivait une stratégie de développement commune aux trois segments.

Autant d’éléments permettant de conclure que « le secteur d’activité pertinent [était], en l’espèce, celui constitué par les trois segments précités », et non celui limité à la prescription, contrairement à ce qu’avaient retenu l’employeur et l’inspecteur du travail. L’employeur n’apportant aucun élément permettant d’évaluer la réalité du motif économique à cette échelle, alors qu’il y avait été spécifiquement invité, la salariée était « fondée à soutenir que la réalité du motif économique fondant son licenciement [n’était] pas établie et que la décision de l’inspecteur du travail ayant autorisé son licenciement pour motif économique [était], par suite, entachée d’illégalité », conclut l’arrêt.

Conclusion : avant tout licenciement collectif dans un groupe la détermination du secteur d’activité est essentiel. Elle est entendue très largement par les juges.

Benjamin LOUZIER

Associé/Partner Avocat Spécialiste en droit social

Comment révoquer et licencier un dirigeant pour les mêmes motifs.

Dans un arrêt récent (CA Paris 4-6-2024 n° 22/07491, X c/ Sté HRO France) il a été jugé que la cause réelle et sérieuse du licenciement d’un salarié peut constituer un juste motif de révocation de ses fonctions de dirigeant, cette révocation pouvant elle-même fonder la révocation de l’intéressé de son mandat social dans une autre société.

  1. Les faits

La gestion d’un projet immobilier est confiée à une SARL (A). Son gérant, par ailleurs salarié de la société, est nommé gérant d’une autre SARL (B), créée pour réaliser ce projet.

Il est révoqué de son mandat social dans la société A, puis licencié pour faute grave par celle-ci. Considérant que cette révocation empêche la poursuite normale de leur relation, l’associé unique de la société B le révoque.

L’intéressé agit alors contre les deux sociétés pour obtenir réparation de la révocation de ses deux mandats sociaux qu’il estime infondée.

  • La décision

La cour d’appel de Paris rejette sa demande.

Le comportement brutal et méprisant du gérant, rapporté par plusieurs témoignages, était de nature à porter gravement atteinte au bon fonctionnement interne de la société A et contraire à l’intérêt social puisqu’il donnait une mauvaise image de l’entreprise à ses partenaires extérieurs.

Plus encore, le fait que cette circonstance ait déjà été retenue par un conseil de prud’hommes comme cause réelle et sérieuse de licenciement était sans incidence : l’argument de l’autonomie du mandat social et du contrat de travail était inopérant en raison de la nature des faits reprochés, qui irriguent de manière identique l’ensemble des fonctions de l’intéressé.

On sait que certains dirigeants, parmi lesquels les gérants de SARL (C. com. art. L 223-25, al. 1), ont droit à des dommages-intérêts s’ils sont révoqués sans juste motif.

La cour d’appel de Paris énonce ici que le juste motif peut résulter d’une faute du dirigeant, d’une attitude non fautive mais de nature à compromettre l’intérêt social ou le fonctionnement de la société (Cass. com. 4-5-1999 no 96-19.503 P : RJDA 7/99 no 792), d’un changement dans l’organisation interne – étant précisé que la suppression du poste du dirigeant n’équivaut pas à une révocation (Cass. com. 4-4-2024 no 22-19.991 F-B : RJDA 6/24 no 341) – ou encore de la perte des fonctions au sein d’une autre personne morale.

La Cour de cassation a également déjà admis que la révocation du dirigeant d’une filiale pouvait être notamment justifiée par la résiliation de son contrat de travail avec la société mère, dès lors que le mandat social, pour lequel aucune rémunération n’était prévue, se situait dans la même logique de management que le contrat de travail (Cass. com. 12-6-2007 no 06-13.900 F-D : RJDA 12/07 no 1242).

La décision commentée semble répondre à la même logique.

Benjamin Louzier
Avocat à la Cour, Associé
Redlink
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Contrôle Urssaf : une nouvelle solution pour faire annuler facilement le redressement

Dans une décision récente le Tribunal de Nîmes juge que dès lors que l’Urssaf a manqué à son obligation de mentionner la liste complète et précise des documents dans la lettre d’observations, le redressement est nul (TJ Nîmes, 4 juill. 2024, no 23/00337, no 23/00420)

  1. Les faits

Une société avait fait l’objet d’un contrôle Urssaf en matière de recherche des infractions aux interdictions de travail dissimulé.

Le cotisant soutenait que la lettre d’observations ne mentionnait pas dans la liste des documents consultés, l’ensemble des documents sur lesquels l’organisme s’était appuyé, notamment les copies des chèques émis et encaissée entre le 1er janvier 2017 et le 31 octobre 2021, outre deux fichiers Excel reprenant les sommes injustifiées sur les ventes et les dépenses, de sorte que la lettre d’observations était irrégulière.

2. La décision

Il ressort de la lettre d’observations en date du 22 septembre 2022 que l’Urssaf s’est fait transmettre par les différentes banques les copies des remises de chèques encaissés et des chèques émis et qu’elle les a analysées. Il en résulte donc que lesdits documents ont servi de base aux opérations de contrôle. Dès lors, ces documents devaient expressément figurer dans la rubrique consacrée à l’énumération de la liste des documents consultés par l’Urssaf.

Aucune mention n’avait été faite de la consultation des chèques encaissés et émis, seule figurant la mention de la consultation des relevés bancaires.

L’Urssaf avait manqué à son obligation de mentionner la liste complète et précise des documents. Les opérations de contrôle étaient donc irrégulières, ce qui entraînait la nullité du redressement, de la mise en demeure et de la contrainte délivrée qui s’y référaient.

3. La portée du jugement

La liste exhaustive des pièces examinées lors du contrôle doit figurer dans la lettre d’observations soit dans la rubrique dédiée au sein de la lettre d’observations, soit dans le corps du document (voir CA Amiens, 2e protection sociale, 30 janv. 2024, no 22/04060).

Il convient que ce relevé soit complet et précis (voir dans le même sens : CA Toulouse, 4e ch., sect. 3, 7 mars 2024, no 22/02524 ; CA Caen, 2e ch. soc., 27 juin 2024, no 22/02302).

Conseils pratiques :

  • Bien conserver les emails échangés avec l’URSSAF sur les demandes de pièces.
  • En cas de contrôle sur place et de prise de documents par les contrôleurs : toujours faire un email actant des documents remis.

Benjamin Louzier
Avocat à la Cour, Associé
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