Procédure administrative / rescrit : le juge administratif peut être directement interrogé sur les positions de l’administration
1- Le rescrit fiscal se définit, consiste en une prise de position formelle de l’administration (« une prise de position formelle de l’administration, qui lui est opposable, sur l’application d’une norme à une situation de fait décrite loyalement dans la demande présentée par une personne et qui ne requiert aucune décision administrative ultérieure »).
Bien qu’opposable à l’administration, il n’était cependant pas possible de contester directement le rescrit auprès du juge administratif en cas de désaccord avec l’administration (CE 26 mars 2008, Association Pro-Musica, n° 278858) ; cette position pouvait seulement être contestée dans le cadre du litige éventuel né de la procédure d’imposition.
2- Cette règle vient de changer, le Conseil d’Etat admettant que les positions prises par l’administration fiscale (par le biais d’un rescrit) puissent être directement contestées (CE, Sect. 2 décembre 2016, Ministre de l’Économie et des Finances c/ Société Export Press, req. n° 387613).
Dans les faits de l’affaire une société avait demandé à l’administration fiscale si elle pouvait légalement soumettre les ventes d’exemplaires de plusieurs revues à un taux de TVA réduit applicable aux livres au sens du Code général des impôts.
L’administration avait répondu que ces différentes revues ne pouvaient être qualifiées de livres et relevaient en conséquence du taux normal de la TVA, ce qui a conduit la société à demander l’annulation de cette position.
3- Le Conseil d’Etat a (nouvellement) admis que ce type de position pouvait être contesté directement auprès du juge administratif (en les assimilant à des actes administratifs) dans les conditions suivantes :
- première condition : la prise de position de l’administration, à supposer que le contribuable s’y conforme, doit être susceptible d’entraîner des effets notables autres que fiscaux sur le contribuable, ayant par exemple pour effet, en pratique, de faire peser sur le contribuable de lourdes sujétions, de le pénaliser significativement sur le plan économique ou encore de le faire renoncer à un projet important pour lui ou de l’amener à modifier substantiellement un tel projet ;
- seconde condition : la personne intéressée doit obligatoirement faire un recours préalable auprès de l’administration (procédure amiable) avant de saisir éventuellement le juge.
4- Au plan opérationnel, la mécanique du rescrit permet aux opérateurs économiques d’anticiper sur différents sujets dans le cadre de montage de projets et désormais, le cas échéant, de faire trancher en amont par le juge l’éventuel désaccord avec l’administration (désaccord qui peut être déterminant au regard de la faisabilité d’un projet).
Ce nouveau mode de dialogue avec l’administration, sous l’arbitrage éventuel du juge, pourrait ainsi trouver à s’appliquer à des projets en matière d’urbanisme (l’article L.331-40 du Code de l’urbanisme prévoyant une procédure de rescrit).
Il est en outre intéressant de relever que la solution ouverte par le Conseil d’Etat (propre à ce stade au droit fiscal), s’insère dans une évolution plus globale des relations entre le public et l’administration tendant tout à la fois à favoriser le dialogue entre l’administration et les administrés mais également à encadrer les prises de positions administratives (cf. brève Redlink « Le recours pour excès de pouvoir contre les actes de droit souple émis par les autorités de régulation »)
Cette évolution plus globale est également à l’origine d’une extension du mécanisme du « rescrit » au-delà du champ fiscal. En effet, il existe désormais de nombreux domaines du droit (consommation, travail, domanialité publique, rural, sécurité social) dans lesquels il est officiellement possible d’interroger l’administration (cf. Ordonnance n° 2015-1628 du 10 décembre 2015 relative aux garanties consistant en une prise de position formelle, opposable à l’administration, sur l’application d’une norme à la situation de fait ou au projet du demandeur et son décret d’application n° 2016-1435 du 25 octobre 2016).
Ce faisant les opérateurs économiques disposent de plus en plus d’outils permettant de mieux prévoir et appréhender les règles applicables en dialoguant avec l’administration.
Amanda Ramos / Alexandre Le Mière
Avocats à la Cour