La question n’est pas traitée par la loi et le premier conseil que nous vous donnons est d’organiser cette situation dans un accord collectif de télétravail.
- Peut on interdire à un salarié en télétravail d’établir sa résidence à l’étranger ?
La Cour de cassation juge sur le fondement de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, et des articles 9 du Code civil et 1121-1 du Code du travail, que toute personne a droit au respect de son domicile ; que le libre choix du domicile personnel et familial est l’un des attributs de ce droit ; et qu’une restriction de cette liberté par l’employeur n’est valable qu’à la condition d’être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise et proportionnée, compte tenu de l’emploi occupé et du travail demandé, au but recherché.
Cependant il nous semble que dans un cadre international, il est possible de faire primer la liberté d’entreprendre de l’employeur sur la liberté du salarié de choisir le lieu de son domicile, en interdisant la fixation du domicile à l’étranger, ou en la règlementant.
- Le salarié a-t-il le droit de télétravailler dans le pays étranger ?
Pas sur…
Dans l’immense majorité des cas, le droit de l’immigration ne prévoit pas le télétravail, le salarié devant justifier d’une embauche locale.
- Les lois applicables au contrat de travail ?
Il faudra vérifier si on peut maintenir l’application de la loi française pour l’exécution du contrat de travail en application du Règlement « Rome I ». Pour rappel, ce règlement est applicable aux États membres de l’UE, à l’exception du Danemark.
Si la réponse est positive, encore faudra-t-il examiner si d’autres règles étrangères impératives ne sont pas susceptibles de s’appliquer. En effet, la France sera-t-elle toujours le pays « dans lequel le salarié exerce habituellement son travail », alors même que le salarié télétravaille jusqu’à cinq jours par semaine à son domicile situé dans un autre pays et qu’il ne se rend dans les locaux de son employeur que de manière épisodique pour assister à quelques réunions avec les équipes, des clients ou des fournisseurs ?
Dès lors que le salarié télétravaille dans un autre pays que celui de son entreprise, les parties au contrat de travail pourront se demander quelles sont les dispositions impératives de la loi du pays qui seraient applicable à défaut de choix, ou encore s’interroger sur les lois de police du juge qui pourrait être saisi. Or, ces règles seront différentes d’un pays à l’autre. Pour la France, on retient généralement :
- les règles relatives au caractère raisonnable de la période d’essai ;
- la procédure de licenciement ;
- mais aussi l’article L. 1262-4 du Code du travail : repos obligatoires, droit de grève, non-discrimination et égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, protection de la maternité, de la paternité et d’accueil de l’enfant, durée du travail, repos compensateurs, jours fériés, congés payés, rémunération.
- Quid du RGPD ?
Le fait que le salarié télétravaille physiquement depuis un autre pays est également susceptible de poser des questions quant à la sécurité des données personnelles et confidentielles échangées dans le cadre de la relation de travail, notamment si le salarié télétravaille dans un pays dans lequel le Règlement général de protection des données (RGPD) ne s’applique pas.
- Quelle loi de sécurité sociale ?
La législation applicable en matière de détachement n’étant pas transposable au télétravail, sauf cas particulier (par exemple, celui des travailleurs frontaliers, en application d’une convention bilatérale, ou celui de la crise sanitaire), le salarié sera soumis à la législation de sécurité sociale applicable dans le pays dans lequel il télétravaille, et ce indépendamment du maintien obligatoire (cas de double affiliation) ou volontaire (en cotisant par exemple à la CFE) à la sécurité sociale française. Pour ce faire, l’employeur devra a minima s’enregistrer auprès des services de sécurité sociale du pays concerné et obligatoirement établir des bulletins de salaire conformes à la législation locale, en faisant apparaître les charges sociales applicables dans le pays. Le DRH devra également s’assurer auprès des divers assureurs des risques liés à la protection sociale complémentaire (prévoyance, frais de santé) et que ces derniers sont bien couverts pendant la période de télétravail à l’étranger ou, à défaut, solliciter une modification contractuelle.
- Quelle loi en matière fiscale ?
Sous réserve des conventions fiscales applicables, l’impôt sur le revenu du salarié sera probablement déclaré et payé dans le pays dans lequel le salarié aura établi sa résidence. C’est normalement son affaire personnelle. Mais l’employeur français sera peut-être tenu de déclarer, précompter et payer l’impôt dans ce pays. Par ailleurs, la présence du salarié pour exercer une activité professionnelle peut générer, pour l’entreprise française, un risque fiscal lié à la reconnaissance d’un établissement stable du fait de la présence d’une installation fixe d’affaires.
Conclusion :
L’accord collectif s’impose et il nous semble qu’il convient de règlementer strictement le télétravail de l’étranger compte tenu des difficultés que cela peut poser.
Benjamin Louzier
Avocat Associé