Cette proposition de loi avait été déposée à l’Assemblée nationale le 19 février 2018 pour transposer la directive 2016/943/UE du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulguées. Le Sénat l’a adoptée le 21 juin 2018. Elle fait l’objet d’un recours devant le Conseil Constitutionnel du fait d’une atteinte à la liberté d’expression. Cependant, c’est la transposition d’une directive…
Le livre Ier du code de commerce est complété par un titre V qui traite de la protection du secret des affaires, défini comme suit :
« Art. L. 151-1. – Est protégée au titre du secret des affaires toute information répondant aux critères suivants :
1° Elle n’est pas, en elle-même ou dans la configuration et l’assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité ;
2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ;
3° Elle fait l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret. »
A ce titre, le savoir-faire en franchise (non aisément accessible) pourrait constituer un secret des affaires.
Le secret des affaires peut être détenu légitiment en cas de découverte ou une création indépendante ou d’observation, d’étude, de démontage ou de test d’un produit ou d’un objet qui a été mis à la disposition du public ou qui est de façon licite en possession de la personne qui obtient l’information, sauf stipulation contractuelle interdisant ou limitant l’obtention du secret.
La détention illicite est caractérisée par un accès non autorisé à tout document, objet, matériau, substance ou fichier numérique qui contient le secret ou dont il peut être déduit, ou bien d’une appropriation ou d’une copie non autorisée de ces éléments ou tout comportement considéré, compte tenu des circonstances, comme déloyal et contraire aux usages en matière commerciale.
Dans le cadre d’une instance relative à une atteinte au secret des affaires, le secret n’est pas opposable lorsque son obtention, son utilisation ou sa divulgation est intervenue :
« 1° Pour exercer le droit à la liberté d’expression et de communication, y compris le respect de la liberté de la presse, et à la liberté d’information telle que proclamée dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;
2° Pour révéler, dans le but de protéger l’intérêt général et de bonne foi, une activité illégale, une faute ou un comportement répréhensible, y compris lors de l’exercice du droit d’alerte [Loi Sapin 2] »
3° Pour la protection d’un intérêt légitime reconnu par le droit de l’Union européenne ou le droit national. »
Selon l’article L. 152-1, toute atteinte au secret des affaires engage la responsabilité civile de son auteur (dommages et intérêts et publication). La prescription des actions est de cinq ans à compter des faits qui en sont la cause.
Pour prévenir une atteinte imminente ou faire cesser une atteinte illicite à un secret des affaires, la juridiction peut, sur requête ou en référé, ordonner des mesures provisoires et conservatoires dont les modalités seront déterminées par décret en Conseil d’État (interdiction de la réalisation ou la poursuite des actes d’utilisation ou de divulgation d’un secret des affaires, des actes de production, d’offre, de mise sur le marché ou d’utilisation des produits résultant de manière significative de l’atteinte au secret des affaires ou l’importation, l’exportation ou le stockage de tels produits à ces fins ; ou destruction totale ou partielle de tout document, objet, matériau, substance ou fichier numérique contenant le secret des affaires concerné ou dont il peut être déduit ou, selon le cas, ordonner leur remise totale ou partielle au demandeur), à moins que ces mesures ne puissent causer un dommage disproportionné à l’auteur de la faute, ce qui peut alors permettre le prononcé d’une indemnité (en référé ?).
La responsabilité n’est pas automatique si « au moment de l’utilisation ou de la divulgation du secret des affaires, l’auteur de l’atteinte ne savait pas, ni ne pouvait savoir au regard des circonstances, que le secret des affaires avait été obtenu d’une autre personne qui l’utilisait ou le divulguait de façon illicite ».
Et le législateur de guider le juge dans le calcul de l’indemnité en trois temps distincts (Art. L. 152–6.). La juridiction doit prendre en considération distinctement : les conséquences économiques négatives de l’atteinte au secret des affaires, dont le manque à gagner et la perte subie par la partie lésée, y compris la perte de chance ; le préjudice moral causé à la partie lésée ; les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte au secret des affaires, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l’atteinte. A défaut à la demande de la partie lésée, le juge pourra allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire qui tient notamment compte des droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le secret des affaires en question, outre la réparation du préjudice moral.
Attention, il conviendra de manier l’invocation du secret d’affaires avec précaution : Art. L. 152–8. : Toute personne physique ou morale qui agit de manière dilatoire ou abusive sur le fondement du présent chapitre peut être condamnée au paiement d’une amende civile dont le montant ne peut être supérieur à 20 % du montant de la demande de dommages et intérêts. En l’absence de demande de dommages et intérêts, le montant de l’amende civile ne peut excéder 60 000 €.
Qu’en est-il des procédures de constat fondée sur l’article 145 du CPC ? L’article. L. 153-1. précise que, lorsqu’il est fait état ou est demandée la communication ou la production d’une pièce dont il est allégué par une partie ou un tiers ou dont il a été jugé qu’elle est de nature à porter atteinte à un secret des affaires, le juge peut, d’office ou à la demande d’une partie ou d’un tiers, si la protection de ce secret ne peut être assurée autrement et sans préjudice de l’exercice des droits de la défense :
« 1° Prendre connaissance seul de cette pièce et, s’il l’estime nécessaire, ordonner une expertise et solliciter l’avis, pour chacune des parties, d’une personne habilitée à l’assister ou la représenter, afin de décider s’il y a lieu d’appliquer des mesures de protection prévues au présent article ;
2° décider de limiter la communication ou la production de cette pièce à certains de ses éléments, en ordonner la communication ou la production sous une forme de résumé ou en restreindre l’accès, pour chacune des parties, au plus à une personne physique et une personne habilitée à l’assister ou la représenter ;
3° Décider que les débats auront lieu et que la décision sera prononcée en chambre du conseil ;
4° Adapter la motivation de sa décision et les modalités de la publication de celle-ci aux nécessités de la protection du secret des affaires.
Si le juge considère une pièce couverte par le secret des affaires, la partie non détentrice du secret est tenue à une obligation de confidentialité lui interdisant toute utilisation ou divulgation des informations qu’elle contient.
Frédéric Fournier
Avocat Associé