Entente dans le secteur des produits laitiers : l’Autorité de la concurrence assure la promotion de son programme de clémence
Par une décision du 11 mars 2015, l’Autorité de la concurrence sanctionne d’une amende globale de 192,7m€ une entente dans le secteur des produits laitiers frais (Aut. conc., déc. n°15-D-03) mise en œuvre pour l’essentiel entre 2006 et 2012. Dans le contexte de la grande consultation publique sur la clémence lancée le 27 février dernier, l’Autorité de la concurrence rappelle dans son communiqué de presse qu’il s’agit également là de la neuvième affaire de clémence traitée à ce jour.
Limitée aux produits commercialisés sous marque distributeur (« MDD »), cette entente a concerné pas moins de 10 entreprises – Yoplait, Senagral (Senoble), LNUF MDD (Lactalis), Novandie, Les Maîtres Laitiers du Contentin, Laïta, Alsace Lait, Laiterie de Saint Malo, Yéo Frais (groupe 3A) et les Laiteries H. Triballat (Rians) – parmi lesquelles quelques-uns des plus importants fournisseurs du marché.
L’Autorité de la concurrence formule à l’encontre de ces entreprises deux griefs :
- avoir échangé, à l’occasion de réunions secrètes et de contacts téléphoniques, des informations sensibles sur les prix actuels et sur les taux de hausses de prix à venir, qui faisaient par la suite l’objet d’accords quant à leur définition, leur calendrier et modalités ; et
- avoir coordonné leurs politiques tarifaires et commerciales au moment d’appels d’offres émis par les clients-distributeurs de façon à organiser la répartition du marché entre eux, notamment par des accords sur les volumes, selon un système de dettes et de crédits, et la remise d’offres de couverture.
En fait, une vingtaine de réunions quadripartites se sont tenues en 6 ans entre Yoplait, Senoble, Novandie et Lactalis (contre moins de 10 pour les autres entreprises concernées). Ces réunions, qui se tenaient dans des hôtels réservés à tour de rôle ou dans un appartement parisien, avaient pour objet de coordonner plus efficacement les réponses aux appels d’offres ainsi que les hausses de prix. A côté de ces réunions « de pilotage », se tenaient d’autres réunions multilatérales plus informelles ou ciblées. Les échanges téléphoniques étaient quant à eux fréquents, voire quotidiens, et s’effectuaient via un téléphone portable secret dédié à l’entente. L’ensemble de ces échanges ont fait l’objet de notes détaillées conservées sur un « carnet secret » détenu par un cadre de Yoplait.
L’Autorité de la concurrence s’est saisie d’office en janvier 2012 de ces pratiques, qui lui furent dénoncées à la suite d’une demande de clémence (article L.464-2 IV du Code de commerce) formée en août 2011 par les sociétés Yoplait SAS, Yoplait France et leur société-mère la société américaine General Mills, qui en avait pris le contrôle un mois auparavant. Senoble a formé une demande similaire le 22 février 2012, à la suite d’opérations de visites et saisies effectuées début février 2012.
A la suite de l’ouverture de la procédure, les autres participants à l’entente ainsi que leurs sociétés-mères, à l’exception de la Laiterie de Saint Malo, ont décidé de ne pas contester les griefs (article L. 464-2 III du Code de commerce) et de proposer des engagements. La mise en œuvre de la non-contestation des griefs a été prise en compte au stade de la sanction.
L’entente est sanctionnée globalement d’une amende de 192,1m€. La plus forte amende individuelle est prononcée à l’encontre de LNUF MDD (Lactalis), pour un montant de 56,1m€. Compte tenu de son rôle marginal dans l’entente, la Laiterie de Saint Malo est relativement épargnée (amende de 300k€).
Yoplait, premier demandeur à la clémence, obtient une exonération complète d’amende, ayant fourni le « carnet secret » détenu par son salarié et plus généralement dénoncé l’entente. On relèvera à ce titre que le montant de base de son amende potentielle, établi à 35,7m€, devait être majoré de 25% en raison de son appartenance à un groupe de grande taille et aurait du ainsi conduire à une amende finale de 44,7m€. L’Autorité de la concurrence ne manque d’ailleurs pas de le souligner dans son communiqué de presse.
Senoble ayant demandé également le bénéfice de la clémence, celle-ci obtient quant à elle une réduction d’amende de 35%. Le montant de l’amende s’élève donc en ce qui la concerne à 46m€. Il est encore à noter que malgré une demande en ce sens, Senoble n’a pas pu bénéficier d’un cumul des procédures de clémence et de non-contestation des griefs, en raison, selon l’Autorité de la concurrence, de l’insuffisance des gains procéduraux qui en résultaient.
Cette décision est susceptible de faire l’objet d’un recours devant la Cour d’appel de Paris.
Charles Méteaut
Avocat à la Cour