Pas de demi-mesure dans la licéité des relevés de prix !
Une société Sodicamb exploitait dans l’Oise un Centre E. Leclerc situé dans la même zone de chalandise qu’un Centre commercial exploité par la société Carrefour Hypermarchés SAS.
Par courrier du 23 novembre 2011, la société Sodicamb avait demandé à son concurrent d’autoriser ses salariés à venir pratiquer des relevés de prix dans le Centre commercial que ce dernier exploitait, rappelant l’arrêt de la Cour de cassation qui avait admis la licéité de telles pratiques [Cass. com., 4 octobre 2011, pourvoi n° 10-21.862]. Or, Carrefour refusa catégoriquement cette demande, arguant notamment du fait que des relevés semblables, pratiqués quelques temps auparavant dans des Centres Carrefour par des sociétés sous enseigne E. Leclerc, avaient servis à commettre des actes de publicité comparative illicite.
N’obtenant pas satisfaction, la société Sodicamb avait assigné le 14 février 2012 la société Carrefour en référé devant le Tribunal de commerce de Compiègne afin qu’il fasse cesser ce qu’elle considérait comme un trouble manifestement excessif. Par une ordonnance du 5 juin 2012, le Juge des référés condamna sous astreinte la société Carrefour à autoriser l’entrée de préposés du concurrent aux fins d’effectuer des relevés de prix sur son linéaire.
Le 8 juin 2012, Carrefour fit appel de cette ordonnance devant la Cour d’appel d’Amiens, en faisant valoir que les prétentions de Sodicamb se heurtaient au droit de la société de se dire chez elle dans son propre magasin et de s’opposer à l’intrusion de tiers, notamment s’agissant de concurrents mal intentionnés, son refus ne consistant finalement qu’en la stricte défense de ses droits. Celle-ci ajouta que l’impératif de police économique mis en avant par l’intimée pour réaliser ses relevés de prix n’était pas évident, sachant que les prix s’établissent non en fonction des prix du concurrent, mais bien en fonction de ses propres prix d’achat, de transport et de distribution.
Par son arrêt du 18 décembre 2012, la Cour d’appel, rappelant la substance de la jurisprudence de la Cour de cassation, rejette cette argumentation au terme d’une motivation désormais classique :
- Carrefour, en ouvrant ses locaux au public pour les besoins de son commerce, a volontairement renoncé à son droit de propriété et à la protection qui lui est attaché ;
- par suite, en exploitant un tel espace ouvert au public, celle-ci ne peut affirmer un droit à discriminer ses visiteurs ;
- la pratique des relevés de prix, par le concurrent comme par les consommateurs eux-mêmes, est justifiée par un impératif de police économique et rendue nécessaire par le libre jeu de la concurrence ;
- la circonstance que des relevés de prix antérieurement pratiqués aient pu donner lieu, ensuite, à une exploitation des résultats prenant la forme de publicités comparatives illicites ne peut justifier une attitude visant, préventivement ou au titre de mesure de rétorsion, à s’opposer aux relevés de prix dès lors que seule leur utilisation fallacieuse était en cause.
[Cour d’appel d’Amiens, ch. éco., 18 décembre 2012, RG n° 12/02397, SAS Carrefour Hypermarchés France / SA Sodicamb (enseigne E. Leclerc)]
Charles Méteaut
Avocat à la Cour