Rupture de relations commerciales : gare aux attitudes ambigües !
Le groupe Haulotte SA, spécialisé dans la fabrication d’engins de manutention et de levage, était en relation depuis 1996 avec une société Soudacier, à qui il sous-traitait la réalisation de certains matériels. Le 1er juin 2007, Haulotte informa Soudacier qu’elle mettrait un terme à leurs relations au terme d’un « délai raisonnable » sans autre précision. Cette information fut confirmée par courrier des 5 et 22 juin 2007, aux termes desquels Haulotte exprima son intention de respecter ses engagements contractuels, sans toutefois préciser de délai de préavis. Le 13 juillet 2007, Soudacier s’inquiéta du préjudice imminent qu’elle subirait en cas de rupture et demanda alors à son partenaire des mesures spécifiques pour éviter ce dommage, ainsi qu’un délai de 18 mois pour s’adapter aux circonstances, mais cette demande fut refusée par Haulotte qui, dans un courrier du 2 août 2007, indiqua à son partenaire qu’il était averti de la rupture depuis le 1er juin, et devait donc s’y faire…
Or, au mois d’octobre 2007, Soudacier reçut une commande de Haulotte qui lui demanda de reconduire des livraisons de matériel sur 2008. Toutefois, aucune nouvelle commande n’étant intervenue en 2008, Soudacier assigna finalement son ancien cocontractant en rupture brutale sur fondement de l’article L. 442-6 I 5° du Code de commerce devant le Tribunal de commerce de Bourges.
Par Jugement du 15 mars 2011, ce dernier fit droit à la demande et condamna Haulotte au paiement d’une somme de 2.903.024,35 Euros pour rupture brutale. Saisie de l’affaire, la Cour d’appel confirma le jugement et ramena le montant de réparation à 1.568.109 Euros. A ce titre, la Cour considéra que l’attitude ambivalente de Haulotte et l’absence de préavis écrit avaient empêché la société Soudacier de prendre les mesures adéquates pour faire face à cette situation et rechercher de nouveaux partenaires [Cour d’appel de Bourges, ch. civ., 23 février 2012, RG n°11/00593, SA Haulotte Group / SAS Soudacier].
Dans son pourvoi, Haulotte fit valoir au contraire qu’il n’y avait pas d’ambivalence puisque la rupture avait été clairement notifiée et qu’un préavis avait été respecté, les commandes ayant continué après la notification de la rupture jusqu’à la fin des relations, de telle sorte qu’elle n’avait pas enfreint l’article L. 442-6 du Code de commerce.
La Cour de cassation rejette cette argumentation et confirme l’arrêt d’appel concernant la rupture brutale. Dans un arrêt du 15 janvier 2013, celle-ci considère notamment que Haulotte « s’est abstenue de notifier la durée du préavis qu’elle entendait octroyer et a, postérieurement à la notification de la rupture, entretenu l’incertitude sur son intention de rompre, mettant la société Soudacier dans l’impossibilité de mettre à profit le préavis finalement exécuté » : la rupture était donc bien brutale. En revanche, la Cour de cassation casse partiellement l’arrêt en ce qui concerne le calcul du préjudice, certains postes ayant été soulevés d’office par la Cour sans que les parties aient pu en débattre.
[Cass. com., 15 janvier 2013, pourvoi n° 12-17.553, Sté Haulotte Group / Sté Soudacier]
Charles Méteaut
Avocat à la Cour