Rupture brutale : quand Chanel a maille à partir avec ses fournisseurs…
Par une décision du 14 septembre 2012, la Cour d’appel de Paris s’est prononcée sur un litige concernant une relation commerciale établie et en constante progression, entre la société World Tricot, entreprise spécialisée dans la fabrication de mailles pour la haute couture et le prêt-à-porter, et la société Chanel. Fournisseur de cette dernière depuis 1998 sans engagement contractuel écrit, World Tricot avait engagé des investissements tels que Chanel était devenu son principal – et presque seul – client.
Or, entre 2004 et 2006, cette relation s’était dégradée, Chanel décidant l’arrêt des commandes du produit phare de World Tricot. En retour, cette dernière soupçonna son partenaire commercial d’actes de contrefaçon et de parasitisme et lui adressa un courrier dénonçant des agissements prétendument « malhonnêtes et de vols ». En dépit de ces reproches jugés infondés, Chanel avait poursuivi ses commandes durant deux ans, pour finalement rompre les relations le 19 juin 2006 après un préavis de six mois. World Tricot, tombé en liquidation judiciaire à la suite de la perte de ce client, assigna Chanel devant le Tribunal de commerce de Paris notamment sur le fondement de l’article L. 442-6 I 5° du Code de commerce.
Par un jugement du 11 décembre 2009 [RG n° 2005/072254], le Tribunal de commerce condamna à ce titre la société Chanel pour rupture brutale, en raison de l’insuffisance de suivi du risque de la relation commerciale entretenue avec la société World Tricot qui se trouvait en situation de dépendance économique.
Au terme d’un arrêt très motivé, la Cour infirme le jugement sur ce point et considère en substance :
- qu’en l’absence d’engagement contractuel écrit, la rupture d’une relation est une liberté corollaire de la liberté d’entreprendre, tant qu’elle n’est ni fautive, ni brutale ;
- que la rupture n’était pas fautive, en dépit de l’état de dépendance économique du fournisseur né de la seule stratégie choisie par celui-ci, alors que le risque lié à la gestion d’une entreprise repose exclusivement sur ses dirigeants et ne peut rejaillir sur le client qui ne saurait s’immiscer dans la gestion de son fournisseur pour l’informer, en sa qualité de client principal, du risque pris s’il venait à rompre leur relation commerciale ;
- qu’enfin, la rupture n’est pas brutale, dès lors qu’elle a été annoncée et réalisée dans le respect d’un préavis suffisant de six mois.
[Cour d’appel de Paris, Pôle 5, ch. 2, 14 septembre 2012, RG n° 11/10263, World Tricot (liquidation) / Chanel SAS et Chanel Coordination SAS]
Charles Méteaut
Avocat à la Cour