Référé précontractuel privé : la Cour de cassation confirme la « lésion »
1. L’Ordonnance du 6 juin 2005 (n° 2005-649) oblige des personnes morales de droit privé à conclure leur contrat en respectant des modalités particulières de passation.
Ces personnes privées voient leur liberté contractuelle encadrée (au plan des modalités de la formation du contrat) parce qu’elles ont des liens ou une proximité particulière avec des personnes publiques ou parce qu’elles utilisent et dépensent de l’argent public.
Elles doivent donc consulter les entreprises en mettant en oeuvre des procédures de publicité et de mises en concurrence préalablement à la conclusion de leur contrat afin de susciter la meilleure concurrence possible.
Il s’agit d’un régime proche de celui des procédures de passation des marchés publics (régis par le Code des marchés publics).
2. Pour garantir la meilleure concurrence possible à l’égard des entreprises, l’Ordonnance de 2005 a prévu des voies de recours particulières, et notamment le référé précontractuel.
Le référé précontractuel permet à une entreprise, qui estime que la procédure de consultation des candidats n’est pas régulière ou est inégalitaire, de saisir le juge judiciaire (TGI) afin d’empêcher la conclusion (signature) du contrat jusqu’à ce que le litige soit tranché et, le cas échéant de faire annuler la procédure.
Il s’agit d’une procédure particulièrement efficace et efficiente qui permet aux entreprises éventuellement de ne pas perdre le bénéfice du travail de montage de son offre commercial et d’éviter qu’un concurrent ne remporte un marché.
Il faut cependant que certaines conditions, que la Cour de cassation vient en partie de préciser, soient réunies pour qu’un référé précontractuel aboutisse avec succès.
3. Dans un arrêt du 23 octobre 2012 (n° 11-23521), la Cour de cassation a souligné une règle fondamentale du référé précontractuel : il est impératif que le ou les griefs exposés à l’encontre de la consultation soient susceptibles de léser l’entreprise qui les invoque.
Cette règle fondamentale est posée par l’article 2 de l’Ordonnance du 7 mai 2009 (n° 2009-515) qui fixe les règles et modalités de la procédure du référé précontractuel privé. De ce point de vue la Cour de cassation ne fait que rappeler la règle prévue par le texte.
Cependant, la Cour de cassation explicite cette règle.
Elle explique qu’« il appartient dès lors au juge des référés précontractuels de rechercher si l’entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l’avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise ». Sur ce point, la Cour de cassation reprend exactement le même libellé que celui usité par le Conseil d’Etat en référé précontractuel public.
Faisant, ensuite, application de cette explication, elle constate, en l’espèce, que les indications erronées faites par l’acheteur sur les délais et voies de recours n’ont pas empêchées le requérant de saisir la juridiction compétente et de faire valoir ses droits.
La Cour de cassation en déduit donc que l’entreprise requérante n’a pas été susceptible d’être lésée par le grief qu’elle a invoqué.
Par cette décision, sans surprise, la Cour de cassation indique précisément aux entreprises concurrentes que le référé précontractuel peut être valablement engagé pour de justes motifs, fondés sur des éléments de faits crédibles et qui montrent réellement qu’ils ont été maltraités, c’est à dire que l’acheteur n’a pas respecté la règle du jeu qu’il avait posé.
4. Cette décision montre, en outre, une tendance convergente des jurisprudences administratives et judiciaires en matière de référé précontractuel.
L’examen de la décision confirme cependant et par ailleurs que la différence irréductible des logiques procédurales (accusatoire pour le juge civil et inquisitoriale pour le juge administratif) empêchera probablement un alignement total des solutions jurisprudentielles.
Il importe que les entreprises appréhendent bien ces différences de logiques. C’est une condition préalable essentielle pour prendre la bonne décision d’engager ou non un référé précontractuel en fonction des situations et du juge compétent.
Alexandre Le Mière
Avocat associé