Les procédures de délégation de service public sont susceptibles d’être fragilisées par l’inconventionnalité de la loi de 1955 concernant les annonces judiciaires et légales.
1. Dans un jugement du 13 octobre 2011 (SARL Gazette du Nord-Pas-de-Calais, n° 1102652 – AJDA 2012 p. 324), le tribunal administratif de Lille a décidé que la loi n° 55-4 du 4 janvier 1955 concernant les annonces judiciaires et légales (consolidée dans sa dernière version au 19 mai 2011) n’est pas conforme à la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur (dite directive Services).
2. Rappelons que la loi de 1955 organise la publicité légale pour les annonces exigées par les lois et décrets dans des journaux inscrits sur une liste arrêtée chaque par le préfet de département après consultation d’une commission.
Le dispositif fixé et mis en place par la loi de 1955 est majeur puisque prévu à peine de nullité des insertions : c’est-à-dire que si une annonce légale ou judiciaire doit, en vertu d’un texte, faire l’objet d’une publicité, elle ne peut l’être que dans un journal ainsi habilité. A défaut, l’annonce publiée sera nulle, avec toutes les conséquences que cela peut entraîner (au demeurant bien au-delà des délégations de service public).
3. Le tribunal administratif, saisi par un Journal qui n’avait pas été retenu sur la liste des publications habilitées à diffuser des annonces légales et judiciaires, a jugé que la publication d’annonces judiciaires et légales présente le caractère d’une activité de service au sens de la directive Services de 2006 et y est, par conséquent, soumise.
Or, la directive Services prévoit, notamment, que lorsqu’une activité est subordonnée à un régime d’autorisation (en l’espèce celui d’être inscrit sur la liste départementale annuelle pour pouvoir diffuser des annonces légales et judiciaires), la délivrance de l’autorisation ne doit pas être subordonnée « à l’intervention directe ou indirecte d’opérateurs concurrents, y compris au sein d’organes consultatifs ».
Or, la commission précitée, qui a pour mission d’élaborer la liste des journaux habilités à publier des annonces légales et judiciaires que le préfet arrête chaque année peut, aux termes de l’article 2 de la loi du 4 janvier 1955, être notamment composée « s’ils existent en nombre suffisant, de trois directeurs de journaux, désignés par le préfet, dont au moins deux directeurs de journaux ou publications périodiques, susceptibles de recevoir les annonces légales ».
L’octroi de l’autorisation de publier des annonces légales et judiciaires, matérialisé par l’arrêté préfectoral annuel, est donc subordonné à l’intervention directe d’opérateurs concurrents, en méconnaissance des prescriptions de la directive.
Il s’ensuit, comme l’a jugé le tribunal administratif, que l’arrêté du préfet fixant, dans ces conditions, la liste des journaux habilités à publier des annonces légales et judiciaires est illégal.
4. La procédure de délégation de service public impose, aux termes des articles L.1411-1 et R.1411-1 CGCT, d’informer les opérateurs économiques du projet de la personne publique délégante de conclure une telle convention, notamment par l’insertion d’un avis de publicité notamment « dans une publication habilitée à recevoir des annonces légales » régie par la loi de 1955.
Il s’agit d’une obligation substantielle et dirimante (voir indirectement sur ce point : CE, 1er avril 2009, Communauté urbaine de Bordeaux, req. n° 323585, publié au Recueil).
Le jugement du tribunal administratif de Lille pose donc une question essentielle au regard de la régularité des procédures de passation des délégations de service public et ce dès le stade initial de leur publicité.
Ce jugement fragilise en toute hypothèse ces procédures dès lors que la raison de l’inconventionnalité retenue et expliquée par le tribunal administratif de Lille est intrinsèque au texte lui-même et, partant, transversale dans ses conséquences.
Car, en effet, s’il est probable que les juges administratifs saisis d’une telle problématique chercheront la parade pour préserver les délégations de service public ou bien que le Gouvernement tentera de la rectifier (le cas échéant par le biais d’une validation a posteriori avec toutes les difficultés que l’on connait), il demeure que, par le jeu et les armes du contentieux administratif, une procédure de délégation de service public pourrait être sérieusement contestée par le fait que le journal dans lequel a été publié l’avis de publicité perd, rétroactivement, son habilitation.
5. Au-delà de la procédure de délégation de service public examinée ci-avant, on ne peut que s’interroger, d’une façon beaucoup plus large, sur les dommages collatéraux qui pourraient résulter de cette décision.
Car en effet, les juges judiciaires sont désormais habilités, sous certaines conditions, à statuer directement sur la légalité de décisions administratives « lorsqu’il apparaît manifestement, au vu d’une jurisprudence établie, que la contestation peut être accueillie » directement par eux (Trib. Confl., 17 octobre 2011, Préfet de la Région Bretagne, Préfet d’Ille-et-Vilaine – SCEA du Chéneau c/ INAPORC – M. C et autres c/ CNIEL, nos 3828, 3829).
On ne peut donc exclure que le contentieux de l’habilitation des journaux d’annonces légales et judiciaires s’invite dans des procès civils ou commerciaux.
L’on pense notamment, à ce stade et de façon non exhaustive, aux publications dans les domaines du droit des sociétés ou encore de droit immobilier. Or, à la faveur notamment de problématiques liées aux délais et aux prescriptions, certains pourraient être tentés d’invoquer l’inconventionnalité de la loi de 1955 devant les juges judiciaires.
Alexandre Le Mière
Avocat associé