Résiliation pour motif d’intérêt général et indemnisation : la vigilance est requise sur les clauses contractuelles
1. Une règle générale applicable aux contrats administratifs autorise les personnes publiques à résilier, pour motif d’intérêt général, les contrats présentant des enjeux importants en termes d’investissement (généralement les concessions et les contrats équivalents).
Cette faculté de résiliation, qui doit effectivement reposer sur un motif d’intérêt général, a pour contrepartie l’obligation, pour la personne publique, d’indemniser son cocontractant privé.
Généralement conçues au travers du prisme habituel de la compensation des coûts et de la réparation du manque à gagner, l’étendue et les modalités de l’indemnisation pour motif d’intérêt général s’appliquent même dans le silence (ou l’imprécision) des contrats suivant les paramètres arrêtés par la jurisprudence administrative.
2. Cependant, et comme le rappelle un récent arrêt du Conseil d’Etat (CE, 4 mai 2011, CCI de Nîmes, Uzès, Bagnols, Le Vignan, req. n° 334280), l’étendue et les modalités de cette indemnisation peuvent être contractuellement prévues.
S’il est, d’une façon générale, fortement conseillé et préconisé de prévoir de telles clauses d’indemnisation, cette récente décision du Conseil d’Etat ne peut qu’inciter les cocontractants des personnes publiques à être particulièrement vigilantes et attentives sur ce point.
3. En effet, les cocontractants sont d’abord mis en gardes contre des clauses contractuelles qui ne correspondraient pas à l’indemnisation des dépenses engagées d’une part et des gains manqués d’autre part.
C’est-à-dire que si les cocontractants peuvent contractualiser l’étendue et les modalités de l’indemnisation d’une résiliation pour motif d’intérêt général, c’est dans la limite de l’interdiction pour une personne publique d’accorder des libéralités. Ce qui implique que des clauses d’un contrat qui ne respecteraient pas cette interdiction pourraient être contestées et/ou remises en cause.
Les entreprises ne peuvent donc qu’être invitées à la plus prudence et la plus grande vigilance dans la rédaction des clauses d’indemnisation pour résiliation sur motif d’intérêt général de leur contrat. Et ce d’autant plus que déterminer les dépenses engagées d’une part et le manque à gagner d’autre part relève souvent d’une réelle complexité : mieux vaut donc le faire lors de l’élaboration du contrat qu’au moment de la résiliation où les désaccords des parties peuvent rendre difficile toute discussion.
4. Les cocontractants des personnes publiques doivent ensuite être d’autant plus vigilantes sur ces clauses d’indenmisation que le Conseil d’Etat a indiqué, dans la même décision, que la règle précitée n’est pas réciproque : si le montant de l’indemnisation pouvant peser sur une personne publique doit être « plafonné » (au titre de l’interdiction des libéralités), il n’existe à l’inverse aucun plancher d’indemnisation pour le cocontractant de l’administration.
Dans cette décision, le Conseil d’Etat considère en effet que la personne publique peut tout à fait prévoir, par les clauses du contrat, que son cocontractant privé n’aura droit qu’à une indemnisation limitée, voire à aucune indemnisation.
C’est à dire que s’il existe une limite vers le haut résultant de l’interdiction des libéralités, il n’existe en revanche, en l’état d cette jurisprudence, aucune limite vers le bas, laquelle s’appplique donc au détriment des cocontractants des personnes publiques.
5. L’on ne peut, dans ces conditions, qu’inviter les cocontractants des personnes publiques à une extrême vigilance sur l’étendue et les modalités des clauses d’indemnisation, quitte, dans certaines hypothèses, à leur conseiller de renoncer au contrat dès lors que de telles clauses apparaissent ou sont envisagées par l’administration.
Ne serait-ce parce que, par elles-mêmes, de telles clauses qui seraient introduites par les personnes publiques avec un déséquilibre dès l’origine induisent déjà la suspicion que la personne publique aurait une incertitude sur son projet contractuel tout en voulant en laisser au seul privé les conséquences d’une éventuelle rupture anticipée.
Alexandre Le Mière
Avocat associé