Che Guevara et la propriété intellectuelle : stop… et encore
Les héritiers du photographe cubain Korda, auteur d’une photographie représentant Che Guevara, « Guerillero Heroico », ont entamé il y a plusieurs années différentes actions judiciaires contre des tiers exploitant cette image mondialement connue sans leur autorisation.
Ces actions ont d’ores et déjà donné lieu à de multiples décisions, souvent commentées, dont deux arrêts de la Cour d’appel de Paris qui viennent chacun de connaître un sort différent devant la Cour de cassation.
Un arrêt de la Cour d’appel du 21 novembre 2008 avait annulé la marque communautaire n° 002.550.036, constituée de ladite photographie, au motif qu’elle ne pouvait pas constituer une marque valable, faute de caractère distinctif. La Cour avait en effet considéré que la puissance d’évocation de cette oeuvre, compte tenu de sa diffusion mondiale et de l’écho qu’elle a reçu, l’empêchait de valablement distinguer des produits et des services. Les ayants droit de Korda avaient formé un pourvoi en cassation à l’encontre de cette décision, mais ce pourvoi a été rejeté par un arrêt de la première Chambre civile de la Cour de cassation du 12 juillet 2011 (09-16188).
La décision repose pour l’essentiel sur le pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond, la Cour relevant que la Cour d’appel avait pu légitimement « examiner la marque tant par rapport à la perception qu’en avait le public pertinent que par rapport aux produits et services pour lesquels elle était enregistrée pour en déduire qu’elle était dépourvue de tout caractère distinctif ».
En revanche, les ayants droit de Korda ont obtenu gain de cause dans un autre arrêt de la Cour de cassation, mais de la Chambre commerciale cette fois, également du 12 juillet 2011 (08-20033). Les demandeurs au pourvoi se plaignaient d’un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 10 septembre 2008, qui avait considéré que l’utilisation de la photographie du Che dans le cadre d’un ouvrage destiné à la jeunesse n’était pas contrefaisante.
Cet arrêt s’était fondé sur le contrat de cession de droits d’auteur conclu entre Korda et un tiers : par ce contrat, le photographe avait fait part de sa volonté que la photographie pût être exploitée dans des conditions « respecteuses de son engagement au service du leader politique et fidèle aux idéaux pour lesquels ce dernier a combattu ». Les juges avaient alors estimé que l’ouvrage critiqué participait de cette philosophie et de la perpétuation de la mémoire du chef révolutionnaire.
La Cour de cassation n’a pas été de cet avis, puisqu’elle a partiellement cassé l’arrêt au visa de l’article 1134 du Code civil, la Cour d’appel ayant, selon la décision, dénaturé les termes de la convention. La Cour suprême a en effet retenu que le contrat était clair sur la volonté de Korda de contrôler les exploitations de son oeuvre, qui était devenue alors « un objet d’utilisation désincarnée, soumis à aucune autorisation ni paiement d’aucun droit, ni à aucun contrôle de qualité ».
C’est précisément « pour faire respecter le bon usage de ladite photographie et interdire toute utilisation qui ne correspondrait pas à ses idéaux quant à sa représentation et afin d’en défendre les droits » que la cession des droits de propriété intellectuelle est intervenue.Dans ces conditions, la Cour a estimé que l’utilisation de la photographie sans autorisation, même dans le cadre d’un ouvrage à vocation pédagogique, était contrefaisante.
Pour mémoire, l’arrêt d’appel avait, au surplus, considéré que l’éditeur de l’ouvrage avait porté atteinte au droit moral de Korda compte tenu des manipulations réalisées sur la photographie sans son consentement (recadrage, modification des couleurs…).
Le feuilleton continue donc, s’agissant des droits patrimoniaux d’auteur.
Matthieu Berguig
Avocat à la Cour