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Plateformes en ligne et protection des consommateurs : le tribunal judiciaire de Paris refuse le blocage de Shein mais impose un contrôle renforcé de l’accès aux contenus sexuels

(TJ Paris, 19 décembre 2025, proc. accélérée au fond)

Par un jugement rendu le 19 décembre 2025, le Tribunal judiciaire de Paris a statué sur une action inédite de l’État français dirigée contre la société Infinite Styles Services Co. Ltd. (ISSL) exploitante de la plateforme de commerce en ligne Shein accessible depuis la France.

Contexte du litige

Fin octobre 2025, concomitamment à son arrivée dans plusieurs enseignes nationales, plusieurs produits manifestement illicites (dont des poupées sexuelles à caractère pédopornographique, des armes de catégorie A, des médicaments interdits de vente en ligne) étaient proposés à la vente, par des vendeurs tiers, sur la marketplace « fr.shein.com », connue du grand public sous la dénomination « Shein ».

L’État français, se fondant sur l’article 6-3 de la LCEN et sur le règlement européen sur les services numériques (DSA), a assigné ISSL et les principaux fournisseurs d’accès à internet devant le Tribunal judiciaire de Paris, statuant selon la procédure accélérée au fond, pour solliciter, à titre principal, le blocage total de la plateforme en France pour une durée de trois mois, sous astreinte de 10.000 euros.

L’État français demandait également à ce qu’à l’issue de ce délai, la levée de cette mesure de blocage ne soit possible que si ISSL justifiait avoir mis en œuvre toutes mesures de nature à prévenir ou faire cesser les dommages occasionnés par les contenus en ligne qu’elle propose dont des mesures efficaces de filtres d’âge, par contrôles et vérifications, et non par simples déclarations des utilisateurs, et des mesures de catégorisation des produits, de façon à empêcher l’accès du public mineurs aux produits pornographiques.

Les parties ont été entendues le 5 décembre 2025.

Lors de l’audience, l’État français a formulé une demande subsidiaire, ne figurant pas dans ses conclusions, à savoir que la mesure de suspension des ventes réalisées par les tiers vendeurs et de toutes ventes de produits « Shein » ne relevant pas du secteur de l’habillement, demeure effective à l’issue du délai de trois mois tant que ISSL n’aura pas justifié des mesures de contrôles et vérifications susvisées.

Rappel du droit

L’article 6-3 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), tel que modifié par la loi SREN du 21 mai 2024 visant à sécuriser et réguler l’espace numérique, confère au président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, le pouvoir d’ordonner toutes mesures propres à prévenir ou faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne.

Les intermédiaires techniques bénéficient d’un régime de responsabilité allégée s’ils n’adoptent pas un rôle actif et s’ils agissent promptement après notification suffisamment précise d’un contenu illicite, conformément à la loi LCEN et à la jurisprudence européenne. Le DSA réaffirme l’absence d’obligation générale de surveillance assortie d’une obligation d’agir promptement après connaissance effective (CJUE 22 juin 2021, aff. jtes C-682/18 et C-683/18; DSA).

Les plateformes de très grande taille sont astreintes à une obligation de diligence dans la détection et le retrait des contenus illicites (articles 16 et 17 du DSA), à la mise en place d’un système interne de gestion des réclamations (article 20), à la publication d’un rapport annuel de transparence sur les mesures de modération (article 42) et une analyse annuelle des risques systémiques liés à la diffusion de contenus illégaux ou dangereux (article 34). Elles encourent des sanctions administratives lourdes en cas de manquement, pouvant atteindre 6 % de leur chiffre d’affaires mondial (article 74 du DSA).

Notamment l’article 28 du DSA impose aux « fournisseurs de plateformes en ligne accessibles aux mineurs [de mettre] en place des mesures appropriées et proportionnées pour garantir un niveau élevé de protection de la vie privée, de sureté et de sécurité des mineurs sur leur service ».

Depuis le 13 décembre 2024, le règlement (UE) 2023/988 relatif à la sécurité générale des produits (GPSR) impose aux fournisseurs de places de marché en ligne de mettre en place des processus internes pour traiter les injonctions et la surveillance, tenir compte des alertes du portail Safety Gate, identifier, retirer ou rendre inaccessibles les offres de produits dangereux, et informer l’autorité ayant notifié dans Safety Gate des mesures prises (art. 22, §3, §6 et §9). Le non-respect de ces mesures est pénalement sanctionnable.

Ce que dit la décision

Le tribunal rejette les fins de non-recevoir soulevées par Shein et confirme que l’État dispose bien d’un intérêt et d’une qualité à agir sur le fondement de l’article 6-3 de la LCEN, dès lors que ce texte ne réserve pas l’action à des autorités spécifiques et vise la prévention ou la cessation de dommages causés par des contenus en ligne portant atteinte à l’ordre public.

Sur le fond, le tribunal reconnaît la gravité objective des contenus litigieux et l’existence d’un dommage caractérisé, notamment au regard de la protection des mineurs, justifiant l’intervention du juge judiciaire en application de l’article 6-3 de la LCEN.

Toutefois, le tribunal rejette toutes les demandes de blocage y compris celles dirigées contre les fournisseurs d’accès à internet en qualité d’intermédiaires techniques.

Après avoir rappelé que « le juge judiciaire, saisi sur le fondement de l’article 6-3 de la LCEN, n’est pas un organe de régulation et de sanction des acteurs du numérique au regard du respect des dispositions tirées du DSA » mais « a pour office la prévention et la cessation de dommages spécifiques, directement causé par un contenu en ligne déterminé », une telle mesure serait « manifestement disproportionnée et porterait une atteinte injustifiée au droit à la liberté d’entreprendre (…) » dès lors où « seuls certains produits de la marketplace ont été identifiés (…) comme étant manifestement illicites et dommageables (…) que les produits identifiés ont tous été retirés par la société ISSL, outre que cette dernière a pris l’initiative de suspendre l’intégralité de sa marketplace, ne laissant à la vente que les objets vestimentaires ».

En revanche, le tribunal fait droit à la demande subsidiaire de l’État sur un point précis et essentiel pour le droit de la consommation numérique : il est fait injonction à ISSL de ne pas rétablir la vente de produits sexuels pouvant présenter un caractère pornographique sans la mise en place de véritables mesures de vérification de l’âge, autres qu’une simple déclaration de majorité. Cette injonction est assortie d’une astreinte provisoire de 10 000 € par infraction constatée, applicable pendant une durée maximale de 12 mois.

Le juge considère en effet que le simple « click » déclaratif est insuffisant au regard des exigences de protection des mineurs, l’exposition de mineurs à des contenus pornographiques constitue un dommage grave et certain, et que l’article 28 du DSA impose aux plateformes accessibles aux mineurs un niveau élevé de protection.

Pour le tribunal « l’intérêt supérieur de l’enfant peut justifier qu’il soit porté atteinte à d’autres droits comme la liberté d’expression et de communication, ou la liberté d’entreprendre ».

Ce qu’il faut retenir de la décision

Cette décision, particulièrement motivée, est fondée en droit. Le juge saisi reste dans son pouvoir qui est de prévenir et faire cesser un dommage. Dès lors où ISSL avait retiré les produits illicites de la vente et suspendu l’intégralité de sa marketplace pour tous les produits autres que des articles vestimentaires, le juge pouvait difficilement statuer différemment.

Elle illustre un équilibre pragmatique entre la protection des consommateurs (en particulier des mineurs) et la préservation de la liberté d’entreprendre des plateformes de e-commerce.

Elle confirme enfin que, même en l’absence de blocage global, les plateformes sont tenues de mettre en œuvre des mécanismes techniques robustes de vérification de l’âge, sous le contrôle du juge judiciaire, indépendamment des procédures administratives prévues par le DSA.

Pour les juristes, un autre point intéressant à relever. ISSL soutenait que les demandes présentées à l’audience par l’Etat français, qui ne figuraient pas dans ses dernières conclusions, étaient irrecevables en application de l’article 446-2-1 du code de procédure civile (issu du décret n°2025-619 du 8 juillet 2025 et entrée en vigueur le 1er septembre 2025), le Tribunal ne devant statuer « que sur les dernières conclusions déposées ».

Rappelant que la procédure accélérée au fond est « une procédure orale », le Tribunal rejette l’argument au motif que « cette disposition, qui a vocation à clarifier en procédure orale les règles formelles applicables aux conclusions, n’interdit pas aux parties de faire évoluer leurs prétentions à l’audience, en présentant oralement des demandes nouvelles ou modificatives, sous réserve du respect du principe de la contradiction » et précise qu’ « une interprétation contraire reviendrait à priver totalement la procédure de son caractère oral, modification qui ne résulte pas du décret du 8 juillet 2025 ».

Décision : TJ Paris, 19 décembre 2025, État français c/ Infinite Styles Services Co. Ltd.

Céline Cuvelier

Avocat BCUBE

Franchise agreement: a bumper crop in 2025 on the qualification of franchise agreements.

Brand licensing: a false good idea?

The reclassification of licensing agreements as franchise agreements is common. This raises the question of jurisdiction: civil court or commercial court/TAE.

The Paris Court of Appeal (Division 5, 4th Chamber, March 8, 2023, No. 20/08662) ruled on this issue. The reclassification results from the transfer of know-how stipulated in the contract (e.g., in the preamble and in the contract) and an obligation to provide assistance, without the communication of a pre-contractual information document being characteristic of franchising. The brand’s promotional communications (brochures, website, interviews with executives) touting the creation of a franchise unit and the existence of assistance services are additional indicators of franchising, with the consequences that this entails.

In the same case, after cassation, the Paris Court of Appeal (Division 5, 4th Chamber, November 26, 2025, No. 25/03887) followed the same line of reasoning. Failure to comply with the pre-contractual information obligation leads to the nullity of the contract.

The Toulouse Court of Appeal (2nd Chamber, May 6, 2025, No. 22/ 04520) points out that a trademark license agreement is one by which the licensor authorizes the use of a trademark to a licensee in exchange for payment of a fee, but that trademark licensing is not defined as such by the code and that, in the absence of specific provisions, reference should be made to the rules on the leasing of property in Article 1713 of the Civil Code.

It states that a franchise agreement involves the transfer of know-how, distinctive signs, and ongoing assistance to the franchisee. If any of these three elements is missing, the agreement cannot be classified as a franchise agreement.

Once again, the reference in the preamble to the concept and know-how developed (marketing, promotion, and training methodology), the planned transition to a franchise, the training in know-how that « goes beyond the simple use of a trademark, » and the license fee identical to that of franchise agreements lead to the reclassification of the franchise agreement.

The Paris Court of Justice (3rd Chamber, Section 3, October 8, 2025, No. 24/01527) did not reclassify the contract in the absence of an obligation to provide assistance and left this issue aside in the absence of fault on the part of the licensor, in particular with regard to the error in profitability alleged by the licensee in light of the information in the DIP

In contrast, the Lyon Court of Appeal (3rd Chamber A, October 2, 2025, No. 22/01888) ruled on a request by the franchisor to disqualify the franchise agreement as a commercial concession agreement. The Court upheld the judgment, stating that « the franchise agreement is mainly characterized by the provision of the franchisor’s distinctive signs, the transfer of know-how, and ongoing assistance to the franchisee, » whereas « the commercial concession agreement is an agreement whereby an independent trader, the ‘concessionaire’, obtains from another manufacturer or wholesaler, the ‘licensor’, products that he undertakes to market under the licensor’s brand name, which grants him limited geographical exclusivity. »

The Court notes the terms of the preamble to the contract and the contract itself, which refer to ongoing assistance to the franchisee and confidential know-how, » « it follows from the contractual provisions that [the franchisor] did not merely supply products [to the franchisee].

It adopts the now customary definition of know-how: « know-how may thus include the franchisor’s ‘know-how in selecting’ products or ‘know-how in selling’ resulting from the provision of appropriate advice for their sale. »

The contract is therefore not « a simple commercial concession » but a « franchise network contract. »

It should be noted that the limitation period for an action for reclassification is five years and that « the action for reclassification of the initial contract (…) was time-barred, as the summons was issued (…) more than five years after the conclusion of the contract, » even if the contract was renewed: because « if tacit renewal gives rise to a new contract, » the action brought did indeed concern the initial contract and not the tacitly renewed one (Douai Court of Appeal, 1st Chamber, Section 2, July 3, 2025, No. 23/04227).

Frédéric Fournier

Contrat de franchise : une belle moisson en 2025 sur la qualification du contrat de franchise.

La licence de marque, une fausse bonne idée ?

La requalification de contrats de licence en contrats de franchise est courante. S’en infère une question de compétence : tribunal judiciaire ou tribunal de commerce/TAE.

La Cour d’appel de Paris (Pôle 5, 4ème Chambre, 8 mars 2023, n° 20/08662) avait statué sur cette question. La requalification résulte de la transmission d’un savoir-faire stipulée dans le contrat (ex. en préambule et dans le contrat) et d’une obligation d’assistance, sans que la communication d’un document d’information précontractuel ne soit pas caractéristique de la franchise. La communication promotionnelle de l’enseigne (brochures, site Internet, interview des dirigeants) vantant la création d’unité franchisée, l’existence de prestations d’assistance, sont des indices complémentaires de la franchise avec les conséquences qui s’y attachent.

Sur la même affaire, après cassation, la Cour d’appel de Paris (Pôle 5, 4ème Chambre, 26 novembre 2025, n° 25/03887) tire le fil du raisonnement. Le manquement à l’obligation d’information précontractuel conduit à la nullité du contrat.

La Cour d’appel de Toulouse (2ème Chambre, 6 mai 2025, n° 22/ 04520) rappelle que le contrat de licence de marque est celui par lequel le concédant autorise l’exploitation d’une marque à un licencié, moyennant versement d’une contrepartie, que la licence de marque n’est cependant pas définie en elle-même par le code et qu’à défaut de dispositions spéciales, il y a lieu de se référer au régime de louage de chose de l’article 1713 du code civil.

Elle indique que le contrat de franchise implique la transmission au profit du franchisé d’un savoir-faire, de signes distinctifs et d’une assistance continue. Si l’un de ces trois éléments fait défaut, le contrat ne pourra pas être qualifié de contrat de franchise.

A nouveau la référence dans le préambule au concept et au savoir-faire développés (méthodologie de commercialisation, de promotion, et de formation), le projet de passage en franchise, la formation au savoir-faire qui « va en conséquence au-delà de la simple exploitation d’une marque », la redevance de licence identique à celle des contrats de franchise conduisent à requalifier le contrat de franchise.

Le Tribunal judiciaire de Paris (3ème Chambre Section 3, 8 octobre 2025, n° 24/01527) ne retient pas de requalification, en l’absence d’obligation d’assistance, et laisse cette question de côté en l’absence de faute du concédant, notamment sur l’erreur sur la rentabilité alléguée par le licencié au regard des informations du DIP

Différemment, la Cour d’appel de Lyon (3ème Chambre A, 2 octobre 2025, n° 22/01888) se prononce sur une demande du franchiseur de disqualification du contrat de franchise en contrat de concession commerciale. La Cour reprend le jugement en indiquant que « le contrat de franchise se caractérise principalement par la mise à disposition des signes distinctifs du franchiseur, la transmission d’un savoir-faire et une assistance continue apportée au franchisé » alors que « le contrat de concession commerciale est un contrat par lequel un commerçant indépendant, le ‘concessionnaire’, se procure auprès d’un autre commerçant fabriquant ou grossiste, le ‘concédant’, des produits qu’il s’engage à commercialiser sous la marque du concédant, lequel lui confère une exclusivité géographique délimitée. »

La Cour constate les termes du préambule du contrat et du contrat lui-même qui se réfèrent à l’assistance permanente du franchisé et au savoir-faire confidentiel » , « il résulte des dispositions contractuelles, que [le franchiseur] ne se bornait pas à fournir des produits [au franchisé].

Elle fait sienne la définition maintenant usuelle du savoir-faire : « le savoir-faire peut ainsi comprendre un « savoir-sélectionner » les produits par le franchiseur ou un « savoir-vendre » résultant de la délivrance de conseils adaptés pour leur vente. »

Le contrat n’est donc pas « une simple concession commerciale » mais un « contrat de réseau de contrat de franchise ».

Il est à noter que la prescription de l’action en requalification est quinquennale et que « l’action en requalification du contrat initial (…) était prescrite, l’assignation ayant été délivrée (…) plus de cinq ans après la conclusion du contrat », même si le contrat a été renouvelé : car « si la reconduction tacite donne naissance à un nouveau contrat », l’action engagée visait bien le contrat initial et non celui reconduit tacitement (Cour d’appel de Douai, 1ère Chambre Section 2, 3 juillet 2025, n° 23/04227).

Frédéric Fournier

Marques de renommée : le Tribunal de l’UE rappelle utilement que la protection dépasse la similarité des produits (TUE, 29 octobre 2025, aff. T-565/24)

Dans un arrêt rendu le 29 octobre 2025 (aff. T-565/24), le Tribunal de l’Union européenne a rappelé l’étendue de la protection conférée aux marques de renommée, lesquelles bénéficient d’une protection au-delà des produits et services désignés dans leur libellé.

La chronologie de cette affaire.

En mars 2022, la société américaine ITRON Inc., leader mondial des solutions d’énergie et d’eau, s’oppose à la demande de marque verbale européenne « ITRON » de la société française Advanced Sanitairy. L’opposition visait l’ensemble des produits en classes 9, 11 et 20, sur la base de marques verbales antérieures européennes « ITRON » désignant notamment la classe 9.

Les fondements juridiques invoqués étaient notamment ceux prévus à l’article 8, §1, b) et 8, §5 du règlement 2017/1001 sur la marque de l’Union européenne (RMUE).

Dans sa décision du 19 juin 2023, la division d’opposition de l’EUIPO a considéré que « l’opposante n’a pas prouvé que ses marques antérieures “ITRON” jouissent d’une renommée dans l’Union européenne », écartant ainsi l’application de l’article 8, §5, RMUE relatif aux marques de renommée. Toutefois, sur le fondement de l’article 8, §1, b), l’opposition a été partiellement accueillie pour certains produits de la classe 9.

Une appréciation sévère, notamment pour les produits restants de la classe 9, considérés comme non similaires alors même qu’ils appartenaient à la même classe. L’opposante, partageant ce constat, a formé un recours et a versé des éléments de preuves complémentaires destinés à établir la renommée de ses marques au sein de l’Union européenne.

Dans sa décision du 26 août 2024, la chambre des recours a confirmé la décision de la division d’opposition aux termes d’une argumentation hautement contestable.

Bien qu’admettant la renommée moyenne de la marque antérieure « ITRON » pour certain des produits visés en classe 9, dans plusieurs pays européens, la chambre des recours ne retient pas l’existence d’un lien entre les signes – pourtant identiques, au motif que « la distance entre les produits contestés des classes 9, 11 et 20 et les compteurs intelligents antérieurs renommés et la fourniture de solutions logicielles pour compteurs intelligents, pour lesquels la renommée de la marque antérieure n°1 a été établie, l’emporte sur tous les autres facteurs susceptibles de contribuer à l’établissement d’un lien, tels que la similitude entre les marques litigieuses et le degré de renommée de la marque antérieure n°1 » (point107).

Ce faisant, la chambre des recours vide de sa substance la protection élargie prévue à l’article 8, § 5 du RMUE, protection qui vise précisément à intervenir au-delà du champ des produits ou services similaires.

En accordant un poids décisif à la seule dissemblance des produits, la chambre des recours a méconnu l’exigence d’une appréciation globale, pourtant au cœur de la jurisprudence européenne.

Devant le Tribunal, l’EUIPO s’est finalement rallié à la position de l’opposante, reconnaissant implicitement la nécessité de corriger une motivation incompatible avec le régime particulier des marques de renommées.

Dans sa décision, le Tribunal retient qu’« en justifiant l’absence de lien entre les marques en conflit uniquement sur la base de la différence entre les produits et les services en cause, sans effectuer l’examen du caractère unique ou essentiellement unique de la marque antérieure n° 1 et, par conséquent, en omettant d’effectuer une appréciation de l’ensemble des facteurs pertinents […], la chambre de recours a commis une erreur de droit » (pt 50).

Le Tribunal réaffirme ainsi utilement que l’existence d’un lien dans l’esprit du public doit être appréciée globalement, en tenant compte notamment de la renommée et de la forte distinctivité du signe, et qu’une probabilité sérieuse d’atteinte (dilution, parasitisme ou atteinte à la renommée) suffit, sans qu’un préjudice concret immédiat soit exigé.

Equipe BCUBE

Franchisors’ assistance : a core obligation in the aftermath of concept evolutions.

Here is a brief report by Frédéric Fournier:

When franchisor’s claim against franchisee caroms off…

Paris Appeals Court (Division 5, 4th Chamber, November 26, 2025, No. 23/13663) ruled on the importance of assistance in franchising for a business subject to technical changes (recycled ink cartridges) . A franchisee terminated their franchise agreement on this basis. The franchisor, which later went into liquidation, sued for performance of the agreement and, in particular, for payment of the amounts withheld by the franchisee. Acquitted at first instance, the franchisor was convicted on appeal.

The franchisee cited the lack of development of the concept, the lack of updates to the operating manual, the lack of new internal training for several years and of promotional visits to personalize the services offered, and the virtually non-existent assistance at the national level.

However, the franchisor explained that the technical standards manual did not need to be updated, as the market had evolved with the refilling of recycled ink cartridges by suppliers rather than distributors. This change had been implemented through a high-performance intranet network accessible to all franchisees, specific marketing, and a service tailored to franchisees. As for training, it had even been implemented during the Covid period, but the franchisee had refused to participate.

The Court’s response was very pragmatic: “The lack of recent updates to this manual is justified by developments in the digital printing market, characterized by the disappearance of refillable cartridges in favor of the sale of pre-filled cartridges by suppliers, which does not require the development of a technical manual.”  » The operating manual is therefore not gospel.

However, the franchisee was criticized for not attending promotional visits. The training courses offered were also called into question by the Court, even though the franchisee did not participate in them.

The Court ruled: « in view of the economics of the franchise agreements in question and the importance of assisting the franchisee in adapting its strategy, redesigning its store, and diversifying in a context of change in the ink cartridge distribution market marked by the abandonment of the refill system, a key element of the concept, the franchisor’s breach of its contractual obligations must be considered sufficiently serious to justify the termination of the disputed contracts by the franchisee. »

The assistance provided in a changing market context was therefore deemed insufficient.

Frédéric Fournier-Lawyer

L’assistance au cœur du contrat de franchise en cas d’évolution du concept

La Cour d’appel de Paris (Pôle 5, 4ème Chambre, 26 novembre 2025, n°23/13663) se prononce sur l’importance de l’assistance en matière de franchise concernant une activité sujette à des changements techniques (cartouches d’encre recyclées). Un franchisé a résilié son contrat de franchise sur ce fondement. Le franchiseur, tombant plus tard en liquidation judiciaire, assignait en exécution du contrat et notamment des paiements retenus par le franchisé. Blanchi en première instance, le franchiseur est condamné en appel.

Le franchisé invoquait l’absence d’évolution du concept, l’absence de mise à jour du manuel opératoire et l’absence de nouvelle formation interne depuis plusieurs années et de visites d’animation afin de personnaliser les services offerts et une assistance quasi inexistante au niveau national.

Cependant, le franchiseur expliquait que le manuel des normes techniques n’avait pas à être mis à jour, le marché ayant évolué par le remplissage des cartouches d’encre recyclées par les fournisseurs et non plus, les distributeurs. Cette évolution avait été mise en œuvre par un intranet de réseau performant et accessible à tous les franchisés, un marketing particulier et un service adapté aux franchisés. Quant aux formations, elles avaient même été mise en œuvre pendant la période du Covid, que le franchisé avait refusées.

La réponse de la Cour relève d’une approche très pragmatique : « l’absence de mise à jour récente de ce manuel est justifiée par l’évolution du marché de l’impression numérique caractérisée par la disparition des cartouches rechargeables au profit de la vente de cartouches préremplies par les fournisseurs, laquelle ne nécessite pas l’élaboration d’un manuel technique. » Le manuel opératoire n’est donc pas biblique.

Cependant, l’absence de visite d’animation était reprochée au franchisé. L’offre de formations étaient également mise en cause par la Cour, même si le franchisé n’y a pas participé.

La Cour décide : « au regard de l’économie des contrats de franchise en cause et de l’importance de l’assistance du franchisé afin de l’aider à adapter sa stratégie, à réaménager son magasin et à engager une diversification dans un contexte d’évolution du marché de la distribution de cartouches d’encre marquée par l’abandon du système de recharge, élément déterminant du concept, le manquement [du franchiseur] à ses obligations contractuelles doit être considéré comme suffisamment grave pour justifier la résiliation des contrats litigieux par le franchisé. »

L’assistance dans un contexte d’évolution du marché était donc jugée insuffisante.

Frédéric Fournier- Avocat associé

Influenceurs et Annonceurs : le seuil légal des prestations d’influence est enfin déterminé

Ci-après la brève de BCUBE dans Linkedin Bcube Avocats https://www.linkedin.com/feed/update/urn:li:activity:7404450459643518976

Le décret n°2025-113 portant application de l’article 8 de la loi visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux (loi n°2023-451 du 9 juin 2023) a été publié au journal officiel du 29 novembre 2025. Il entrera en vigueur le 1er janvier 2026 (article 2).

Très attendu, ce décret fixe le seuil à partir duquel un partenariat entre un influenceur et son agent ou un annonceur, portant sur la réalisation d’une ou plusieurs prestation(s) d’influence commerciale en ligne, doit faire l’objet d’un contrat écrit.

Pour rappel, l’activité d’influence commerciale en ligne consiste, selon la loi du 9 juin 2023, à utiliser sa notoriété – moyennant rémunération – pour promouvoir des produits, des services ou une cause auprès du public par voie électronique.


La loi définit également l’activité d’agent d’influenceur : il s’agit de représenter, contre rémunération, un influenceur dans ses relations avec les marques ou autres partenaires, afin de promouvoir des biens, des services ou une cause.

En principe, les partenariats d’influence doivent être formalisés par un contrat écrit. Une exception existe toutefois lorsque la rémunération totale (numéraire + avantages en nature) liée à la prestation est inférieure à un seuil fixé par décret.

Ce seuil vient d’être établi à 1 000 € HT (décret n°2025-113).

Lorsque cette limite est atteinte ou dépassée, le contrat doit respecter un formalisme strict et mentionner :

  • l’identité et les coordonnées des parties, ainsi que leur pays de résidence fiscale ;
  • la nature précise des missions ;
  • la rémunération ou les modalités de son calcul, ainsi que la valeur des avantages en nature ;
  • les droits et obligations des parties, notamment en matière de propriété intellectuelle ;
  • une clause imposant l’application du droit français.

À défaut, le contrat encourt la nullité.

Pour savoir si le seuil de 1 000 € est atteint, il ne faut pas raisonner prestation par prestation. Il convient d’additionner, sur une année, toutes les rémunérations et avantages accordés par un même annonceur à un influenceur pour des prestations poursuivant un même objectif promotionnel.

Le décret reste silencieux sur la méthode de valorisation des avantages en nature, pourtant souvent complexes à chiffrer (produits offerts, voyages, invitations à des évènements, accès à des services, etc.). Cette incertitude impose une vigilance accrue aux annonceurs, agents et influenceurs.

« La rupture brutale des relations commerciales établies à la lumière de la jurisprudence actuelle »

Nous avons le plaisir de vous partager l’article publié par Régis PIHERY et Augustin ANCEL dans la revue OptionFinance faisant le point sur la question de la rupture brutale des relations commerciales établies à la lumière de la jurisprudence actuelle.  

https://www.optionfinance.fr/entreprise-expertise/bilan-de-jurisprudence-relatif-a-laction-en-rupture-brutale-de-relations-commerciales-etablies-un-contentieux-toujours-actif-mais-aux-enjeux-financiers-plus-limites.html

Charcuteries corses : nouvel épisode dans la guerre des labels qualité AOP et IGP

Ci-après la publication de Céline Cuvelier et de Mathilde Fabiano de BCUBE 

Le 10 septembre 2025, le Tribunal de l’Union européenne (ci-après « TUE ») a rendu une nouvelle décision dans le cadre du litige qui oppose depuis plusieurs années le Syndicat de défense des charcuteries corses AOP « Salameria de Corsica » à un Consortium des Charcutiers corses (TUE, 10 septembre 2025, aff.T-597/23).

Pour rappel, une appellation d’origine protégée (AOP) désigne un produit alimentaire « originaire d’un lieu déterminé » c’est-à-dire dont toutes les étapes de la fabrication ont été réalisées dans une même aire géographique, laquelle confère au produit sa qualité ou ses caractéristiques. Ce label européen valorise et protège des produits typiques des terroirs comme l’huile d’olive de Provence, le piment d’Espelette ou le brocciu de Corse.

Une indication géographique protégée (IGP) est moins contraignante puisque servant à identifier un produit alimentaire « originaire d’un lieu déterminé », « dont une qualité, la réputation ou une autre propriété peut être attribuée essentiellement à son origine géographique ». Le lien au terroir est donc plus souple que pour une AOP.

Le syndicat de défense des charcuteries corses AOP a obtenu, en 2014, l’enregistrement, au niveau européen, des trois AOP : « Lonzo de Corse / Lonzo de Corse – Lonzu » ; « Jambon sec de Corse / Jambon sec de Corse – Prisuttu » et « Coppa de Corse / Coppa de Corse – Coppa di Corsica », pour desproduits élaborés à partir d’une race spécifique de porcs vivant de manière semi-sauvage dans les montagnes corses.

En 2015, le Consortium des charcutiers corses dépose auprès des autorités françaises sept demandes d’IGP pour les dénominations « Lonzo de l’Ile de Beauté », « Jambon sec de l’Ile de Beauté », « Coppa de l’Ile de Beauté », « Pancetta de l’Ile de Beauté », « Saucisson sec de l’Ile de Beauté », « Bulagna de l’Ile de Beauté » et « Figatelli de l’Ile de Beauté » destinées à identifier également des produits de charcuteries produites selon des méthodes et le savoir-faire corse mais à partir de viande « ordinaire » de porc.

En 2018, le ministère de l’Agriculture a homologué les cahiers des charges de ces sept demandes d’IGP, lesquelles ont ensuite été transmises à la Commission européenne pour enregistrement. La Commission a rejeté les demandes d’enregistrement « Lonzo de l’Ile de Beauté », « Jambon sec de l’Ile de Beauté », « Coppa de l’Ile de Beauté » au motif qu’elles sont évocatrices des trois AOP antérieures enregistrées en 2014. Le TUE puis la CJUE ont confirmé cette décision (CJUE, 4 octobre 2014, aff. C-579/23 P).  En revanche, la Commission a approuvé l’enregistrement des quatre autres demandes à savoir, « Pancetta de l’Ile de Beauté », « Saucisson sec de l’Ile de Beauté », « Bulagna de l’Ile de Beauté » et « Figatelli de l’Ile de Beauté».

Le syndicat de défense des charcuteries corses AOP a introduit un recours devant le Tribunal de l’Union européenne aux fins de voir cet enregistrement refusé. A l’appui de son recours, le syndicat faisait notamment valoir que les IGP contestées sont évocatrices des AOP antérieures au motif que « l’expression ‘Ile de Beauté est le synonyme notoire et traditionnel du terme ‘Corse’ », que les produits désignés sont « similaires en ce qu’ils relèvent, pour le consommateur ayant une attention moyenne, de la catégorie générale de la charcuterie traditionnelle corse » et que « les consommateurs ne connaissent le plus souvent pas la différence entre les AOP et les IGP ».

Les juges européens ne sont pas de cet avis.

Le Tribunal rappelle d’abord que le risque d’évocation est établi lorsque l’usage d’une dénomination produit dans l’esprit d’un consommateur moyen de l’UE, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, « un lien suffisamment direct et univoque entre cette dénomination et l’AOP ». Le Tribunal poursuit en indiquant que « l’’existence d’un tel lien peut résulter de plusieurs éléments à savoir, en particulier, de l’incorporation partielle de l’AOP, de la parenté phonétique et visuelle entre les deux dénominations et de la similitude en résultant, et, même, en l’absence de ces éléments, de la proximité conceptuelle entre l’AOP et la dénomination en cause ou encore d’une similitude entre les produits par cette même AOP et les produits ou services couvert par cette même dénomination ».

Sur le plan de la comparaison des dénominations en cause, le Tribunal considère qu’il n’existe aucune incorporation de l’AOP antérieure dans les dénominations contestées dans la mesure où celles-ci diffèrent tant dans leur partie désignant l’origine géographique des produits (« Corse » n’étant pas similaire à « Ile de Beauté ») que dans les termes désignant les produits (« Lonzo », « Jambon sec », « Coppa » étant distincts des « Saucisson sec », « Pancetta », « Figatelli » et « Bulagna »).

S’agissant du critère de parenté phonétique et visuelle, il estime « qu’il n’en existe aucun », de même que sur le plan conceptuel et ce, quand bien même « l’expression ‘Ile de Beauté’ est synonyme du terme ‘Corse’ ».

Pour le Tribunal, « un consommateur moyen même non spécialiste des différents types de charcuterie, sera en mesure de comprendre que des termes différents renvoient à des produits de charcuterie différents, qui présentent des caractéristiques différentes », ce d’autant plus que les produits de charcuterie « sont des produits de consommation courante et achetés régulièrement, souvent en présence des produits eux-mêmes ou de leur image ». Il en conclu que le consommateur n’aura pas de difficulté à distinguer de tels produits et ce, même si certains noms de produits sont potentiellement peu connus par le consommateur moyen « tels que les noms « Lonzo », « Bulagna » ou « Figatelli ».

S’agissant du quatrième critère relatif à la similitude des produits, le syndicat faisait valoir que les produits relèvent de la charcuterie traditionnelle corse, tous désignant indifféremment des préparations alimentaires à base de viande de porc, crues ou cuites, préparés par salaison. Il indiquait également que tous ces produits sont susceptibles d’être vendus dans les mêmes points de vente dont les grandes surfaces désireuses de faire découvrir la charcuterie corse.

Pour le Tribunal, le consommateur ne sera pas pour autant amené à penser qu’il s’agit de produits similaires dès lors où « le consommateur, même non spécialiste de charcuterie corse, comprendra que des produits se différenciant par leur aspect visuel correspondent à des produits différents » et ce, même s’ils sont effectivement vendus dans les mêmes magasins.

Cette décision laisse sceptique notamment quant au fait que le consommateur puisse effectivement différencier ces produits qui certes n’ont pas la même forme, mais proviennent du même animal et sont présentés comme provenant du même lieu, la Corse, bien connue aussi sous le vocable « l’île de beauté ». Au final, est ce que l’une des solutions ne serait pas d’expliquer simplement au consommateur ce qui différencie une AOP d’une IGP ?