Des précisions et des interrogations à propos des noms de domaine
Par un arrêt de censure très important rendu le 9 juin 2009, la Cour de cassation est venue préciser le régime juridique des noms de domaine en « .fr ». Mais, surtout, elle a considérablement réduit la portée des ordonnances de référé en matière de contentieux des noms de domaine.
En l’espèce, la société Sunshine, titulaire de la marque « SUNSHINE » déposée le 19 juillet 2001 pour désigner des chaussures et des vêtements, avait tenté de faire échec au dépôt du nom de domaine « sunshine.fr » en 2005 par un tiers, gérant d’une société Sunshine Productions, spécialisée dans la photographie. A cette fin, elle avait assigné le titulaire dudit nom de domaine en référé.
La Cour d’appel de Paris avait fait droit à cette demande en s’appuyant sur le décret n° 2007-162 du 6 février 2007, dont les dispositions ont été intégrées au Code des postes et des communications électroniques. Ce texte règlementaire instaure notamment les principes directeurs de l’attribution des noms de domaine dans la zone « .fr ».
En particulier, l’article R. 20-44-45 de ce Code dispose qu »‘un nom identique ou susceptible d’être confondu avec un nom sur lequel est conféré un droit de propriété intellectuelle par les règles nationales ou communautaires ou par le présent code ne peut être choisi pour nom de domaine, sauf si le demandeur a un droit ou un intérêt légitime à faire valoir sur ce nom et agit de bonne foi. »
Statuant en référé, la Cour avait donc ordonné le transfert du nom de domaine « sushine.fr » au profit de la société Sunshine. Le gérant de la société Sunshine Productions avait formé un pourvoi en cassation à l’encontre de cette décision. La Cour de cassation devait trancher deux points principaux.
Le premier concernait la question de l’application dans le temps du décret du 6 février 2007 : pouvait-il s’appliquer à une situation née antérieurement à son entrée en vigueur ? La réponse est négative. Au visa notamment de l’article 2 du Code civil qui concerne l’application de la loi dans le temps, la Cour de cassation a rappelé que « si la loi nouvelle s’applique immédiatement aux effets à venir des situations juridiques non contractuelles en cours au moment où elle entre en vigueur, elle ne peut remettre en cause la validité d’une situation régulièrement constituée à cette date ».
Le principe, séculaire, est clair : un décret (comme une loi) ne peut s’appliquer à une situation de nature contractuelle née antérieurement à son entrée en vigueur. En l’espèce, nous étions bien en présence d’un contrat puisque la réservation d’un nom de domaine résulte d’une convention conclue entre le déposant et le centre d’enregistrement.
Concrètement, ceci signifie que le décret ne peut s’appliquer qu’aux noms de domaine déposés postérieurement à son entrée en vigueur, avec une incertitude toutefois s’agissant des noms de domaine déposés antérieurement mais renouvelés depuis lors, puisqu’il convient alors de s’interroger sur le point de savoir si le contrat de réservation est un nouveau contrat ou bien l’ancien contrat reconduit…
Le second point, encore plus important, concernait la question des pouvoirs du juge des référés en matière de noms de domaine. Depuis plus de dix ans, des ordonnances de référé prononcent le transfert de noms de domaine au profit de demandeurs qui se plaignent d’une violation à un droit de propriété intellectuelle ou à un droit de la personnalité (v. par exemple la célèbre affaire « Amélie Mauresmo » rendue le 13 mars 2000 par le Président du Tribunal de Grande Instance de Nanterre).
Or la Cour de cassation vient mettre un coup d’arrêt à ce mouvement jurisprudentiel en considérant que le transfert d’un nom de domaine ne constitue par une mesure conservatoire ou de remise en état au sens de l’article 809 du Code de procédure civile. La décision apparaît assez logique compte tenu de la lettre du texte mais particulièrement pénalisante pour les victimes de cybersquatting, qui se voient ainsi privées d’un moyen efficace d’obtenir un transfert rapide d’un nom de domaine déposé illicitement.
De deux choses l’une : soit ils vont devoir abandonner les procédures judiciaires au profit des procédures de règlement alternatif des litiges sous l’égide de l’OMPI, soit ils vont devoir trouver un autre fondement à leurs demandes.
A cet égard, l’article L. 716-6 du Code de la propriété intellectuelle dispose que « toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon peut saisir en référé la juridiction civile compétente afin de voir ordonner, au besoin sous astreinte, à l’encontre du prétendu contrefacteur (…) toute mesure destinée à prévenir une atteinte imminente aux droits conférés par le titre ou à empêcher la poursuite d’actes argués de contrefaçon ».
La lettre de ce texte devrait autoriser un transfert de nom de domaine en cas de contrefaçon de marque, s’agissant de « toute mesure destinée à empêcher la poursuite d’actes argués de contrefaçon ». Il a toutefois été fréquemment jugé que le référé-marques ne constituait qu’une modalité du référé général prévu par les articles 808 et 809 du Code de procédure civile… Le problème reste donc (relativement) entier.
Matthieu Berguig