Contrats publics : le pouvoir du juge de moduler les pénalités de retard est limité.
1- Il est admis que le juge administratif puisse moduler à la hausse comme à la baisse les pénalités de retard contractuelles (CE, 29 décembre 2008, OPHLM de Puteaux, req. n° 296930).
En effet, dès lors que cela lui est demandé, le juge administratif peut réduire ou augmenter le montant des pénalités de retard, dans la mesure où ces pénalités « atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire eu égard au montant du marché ».
Ce faisant, en 2008, le Conseil d’Etat a posé le cadre général de l’appréciation et de la modulation éventuelle des pénalités de retard, lequel méritait d’être précisé (notamment compte tenu des diverses décisions de jurisprudence prises, dans ce cadre, par les tribunaux administratifs et les Cours administratives d’appel).
2- Le Conseil d’Etat a donc précisé (CE, 19 juillet 2017, req. n° 392707) comment le juge peut appliquer ce pouvoir de modulation des pénalités contractuelles.
Il rappelle au préalable que les pénalités de retard visent à procurer à l’acheteur public une réparation forfaitaire résultant du seul fait que le cocontractant n’a pas respecté les délais contractuels. Il n’y a donc pas de lien entre ces pénalités de retard et un préjudice qui aurait été éventuellement concrètement subi par ailleurs par l’acheteur public.
Le Conseil d’Etat précise donc qu’il est inutile, pour le cocontractant d’évoquer une disproportion entre le montant des pénalités infligées et le préjudice subi par l’acheteur public ou même l’absence de préjudice subi par ce dernier.
En revanche, le Conseil d’Etat précise qu’il appartient au juge de vérifier si l’acheteur public a subi des préjudices pour vérifier, s’il doit corriger le montant des pénalités, et que le montant final appliqué ne soit pas inférieur au préjudice subi.
Il y a donc asymétrie de situation :
- le cocontractant ne peut pas évoquer l’absence de préjudice ou le préjudice faible de l’acheteur public pour « paramétrer » à la baisse les pénalités de retard ;
- l’acheteur public ne doit, pour sa part, pas avoir à supporter un préjudice, de sorte que les pénalités ne doivent, en tout état de cause, pas être inférieures à ce préjudice …
C’est donc dans ce cadre particulier que le juge, invité à moduler les pénalités de retard, doit vérifier – de façon exceptionnelle – si les pénalités atteignent un montant excessif ou dérisoire « eu égard au montant du marché et compte tenu de l’ampleur du retard constaté dans l’exécution des prestations ».
Etant précisé qu’il appartient au cocontractant, qui demande une modulation des pénalités, de fournir l’ensemble des éléments d’appréciation, telles notamment que les pratiques observées dans des marchés comparables ou tenant aux caractéristiques particulières du marché.
3- Il n’est pas inutile de relever que dans cette affaire le cocontractant avait 3 ans de retard sur l’exécution d’un marché de 6 mois.
En conséquence, l’acheteur public avait infligé des pénalités qui représentaient plus de 115% du montant total du marché. La Cour administrative d’appel avait d’abord confirmé les périodes de retard imputables à l’entreprise, et avait ensuite réduit ces pénalités d’environ 80%, ce qui ramenait le montant total des pénalités à 25% du montant total du marché.
Ainsi, alors même que le montant des pénalités restait, proportionnellement, colossal par rapport au montant du marché, le Conseil d’Etat a remis en cause – pour des raisons juridiques certes – la décision d’appel notamment au motif qu’il n’avait pas vérifié le montant du préjudice invoqué par l’acheteur public.
La prochaine décision, attendue, de la Cour à nouveau saisie pour statuer devrait permettre d’appréhender mieux la « proportion » entre le montant final des pénalités et leur caractère ou non excessif. Néanmoins, l’orientation donnée par le Conseil d’Etat à ce stade conduit à retenir que le montant final des pénalités pourrait être plus élevé que 25% du montant total du marché.
4– Cette décision ne peut que conduire les opérateurs économiques à examiner très précisément les pénalités contractuelles prévues et, lorsqu’elles sont excessives ou inadéquates, envisager de ne pas soumissionner compte tenu des risques éventuels de défaillances ou, lorsque cela est possible, les négocier.
C’est, en tout état de cause, un sujet crucial sur lesquels les opérateurs économiques doivent être vigilants.
Alexandre Le Mière / Amanda Ramos
Avocats à la Cour