On sait que de plus en plus certains salariés tentent de faire reconnaître un accident du travail lorsqu’ils se sentent menacés par un licenciement, afin d’être protégé par la procédure spéciale.
Dans un arrêt du 28 novembre 2019 (nº 2021 du 28 novembre 2019, Pourvoi nº 18-24.161), la Cour de cassation a écarté la faute inexcusable de l’employeur dans l’hypothèse d’un malaise ressenti par un salarié à l’issue d’un entretien préalable au licenciement. Une défaillance qui a toutefois donné lieu à une prise en charge au titre de la législation sur les accidents du travail.
Les faits :
Un employeur reprochait à son salarié, exerçant la profession de mécanicien automobile, des manquements graves commis lors de contrôles réalisés sur des véhicules. Face à la répétition des faits, malgré un rappel à l’ordre et la notification d’une mise à pied disciplinaire, l’employeur a convoqué le salarié à un entretien préalable.
À l’issue de l’entretien, le salarié a présenté un état de mal-être et des troubles anxieux. L’employeur a établi une déclaration d’accident du travail et émis des réserves sur le caractère professionnel de l’accident. Suite à la prise en charge de son accident au titre de la législation professionnelle, le salarié a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale pour faire reconnaître la faute inexcusable de son employeur.
La Cpam avait dans un premier temps refusé la prise en charge de l’accident, son médecin-conseil ayant estimé qu’il n’y avait pas de lien entre les faits invoqués et les lésions mentionnées dans le certificat médical initial, étant précisé que le salarié souffrait d’un état antérieur de stress post-traumatique sans lien avec le travail.
Au terme d’une contestation du salarié, une décision de prise en charge est finalement intervenue dans les rapports caisse/assuré, décision inopposable à l’employeur.
La qualification d’accident du travail très contestable :
Si la qualification d’accident du travail n’a pas été discutée devant la Cour de cassation, elle n’en demeure pas moins contestable dans la mesure où, en principe, ne peuvent être retenues comme fait accidentel des situations correspondant à des conditions normales de travail.
Ainsi, il a été jugé que le malaise subi par une salariée, selon elle, à la suite d’un entretien au cours duquel un avertissement lui a été notifié, ne constitue pas un accident du travail, la salariée ne rapportant pas la preuve d’un événement soudain survenu au temps et au lieu du travail (Cass. 2e civ., 19 décembre 2013, nº 12-26.952 D).
Dans un arrêt du 18 août 2016, pour justifier le refus de prise en charge, la Cour d’appel de Versailles avait relevé l’absence d’élément de nature à considérer que l’entretien s’était déroulé dans un contexte particulièrement choquant et traumatisant pour le salarié (CA Versailles, 18 août 2016, nº 14/03611). Suivant le même raisonnement, la Cour d’appel de Bordeaux a récemment jugé que le fait que le salarié ait été troublé en apprenant les conséquences de son comportement ne caractérise pas un fait accidentel, dès lors que l’entretien s’est déroulé dans un climat respectueux (CA Bordeaux, 4 avril 2019, nº 17/02471).
Cependant, la jurisprudence en la matière n’est pas homogène, certaines juridictions s’attachant à la seule réaction du salarié pour caractériser l’existence d’un accident du travail, sans tenir compte des conditions dans lequel l’entretien s’est déroulé. Cette position nous semble contestable. En effet, en pareilles circonstances, la présomption d’imputabilité se rattache non pas à la lésion mais au fait accidentel survenu au temps et au lieu du travail, ainsi que l’a rappelé la Cnamts dans une circulaire nº 14/2018 du 12 juillet 2018.
Le salarié soutenait que le directeur d’établissement s’était montré agressif et humiliant à son endroit, ce que contredisait l’enquête de la Cpam qui révélait au contraire que l’entretien s’était déroulé dans un climat serein et que les échanges étaient restés courtois.
Ayant estimé que l’entretien s’était déroulé dans des conditions normales, le Tribunal des affaires de sécurité sociale de Toulouse avait considéré que l’employeur, qui se trouvait dans l’exercice de ses prérogatives habituelles, n’avait pas commis de faute inexcusable.
Tel ne fut pas l’avis de la Cour d’appel de Toulouse. En effet, les juges d’appel ont considéré qu’au cours de l’entretien, le directeur d’établissement « a été insistant au point que le salarié a demandé à ce que cet entretien soit écourté » et estimé que « le risque induit par cet entretien disciplinaire, mené dans ces conditions, sur un salarié psychiquement fragile exposait ce dernier à un risque sur sa santé dont l’employeur ne pouvait pas ne pas avoir conscience ».
La position de la Cour de cassation : pas de comportement humiliant, violent ou vexatoire :
La Cour de cassation a cassé l’arrêt au motif que la cour d’appel n’avait pas suffisamment caractérisé la conscience du danger de l’employeur, qui est une des conditions de la reconnaissance de sa faute inexcusable.
Pour la Cour de cassation, la seule insistance de l’employeur au cours d’un entretien disciplinaire ne suffit pas à caractériser une faute inexcusable de sa part, quand bien même le salarié serait fragile psychologiquement.
Dans une décision du 31 mai 2012, la Cour de cassation a confirmé un arrêt de la Cour d’appel de Douai qui avait jugé que l’employeur n’avait pas commi s de faute inexcusable dans le cas d’une tentative de suicide d’un salarié, commise dans les suites d’une convocation à un entretien préalable (Cass. 2e civ., 31 mai 2012, nº 11-18.614 D). Dans cette affaire, la Cour de cassation avait relevé qu’il n’était pas démontré que l’employeur avait eu un comportement humiliant, violent ou vexatoire à l’égard du salarié, dont la réaction à l’issue de l’entretien n’était pas prévisible en l’absence d’antécédent personnel ou familial pouvant laisser supposer qu’il était particulièrement fragile sur le plan psychologique.
À l’inverse, un comportement inapproprié de la part de l’employeur au cours d’un entretien disciplinaire pourrait tout à fait aboutir à la reconnaissance de sa faute inexcusable, si ce dernier a connaissance d’un état de fragilité chez le salarié. C’est d’ailleurs le sens d’une décision également rendue le 28 novembre 2019 par la Cour de cassation (Cass. 2e civ., 28 novembre 2019, nº 18-23.987 D).
Conclusion : comment faire en pratique :
En pratique, l’incitation à la prévention des risques est au cœur de la nouvelle définition de l’obligation de sécurité de l’employeur, désormais de moyens (Cass. ass. plén., 5 avril 2019, nº 18-17.442 PBRI).
Dans cette perspective, l’employeur doit mettre en œuvre toutes les mesures de prévention et de protection nécessaires pour préserver la santé mentale de ses salariés. Lors d’un entretien disciplinaire, qui constitue, par nature, une situation à risque, l’employeur doit s’interdire tout comportement inapproprié et/ou propos blessants. Il doit faire preuve de pédagogie dans l’énoncé des motifs de la sanction envisagée et d’écoute à l’égard du salarié, qui doit être en mesure d’exprimer librement son point de vue.
Benjamin Louzier
Avocat Associé