Expedia – déséquilibre significatif et loi de police : La cour d’appel de Paris (Pôle 5 – Chambre 4, 21 juin 2017, RG n° 15/18784) infirme partiellement le jugement du tribunal de commerce de Paris
Dans le cadre de l’action menée par le Ministre de l’Economie contre Expedia sur le fondement du déséquilibre significatif des clauses d’alignement sur le meilleur prix, la Cour d’Appel infirme partiellement le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 7 mai 2015.
Les contrats comportaient tous, de 2008 à 2011, des clauses de parité des tarifs et des conditions et une clause de dernière chambre disponible.
La première clause permettait l’obtention automatique des meilleures conditions tarifaires et des meilleures offres promotionnelles. La seconde clause permettait de contraindre l’hôtelier à mettre toute chambre non réservée.
Une procédure demeure devant l’Autorité de la Concurrence saisie en 2013 par des syndicats hôteliers de certaines clauses des contrats passés entre les agences de réservation en ligne, dont le groupe Expedia, et les hôteliers concernant Expedia notamment.
Premier enseignement : la compétence des juridictions françaises
Expedia soutenait que les juridictions françaises ne sont pas compétentes puisqu’aucune des signataires des contrats n’est située sur le territoire français, puisque, en vertu de l’article 2.1 du Règlement Bruxelles I, les signataires des contrats, doivent être attraites devant les juridictions du lieu de leur domicile.
La Cour répond que l’article L. 442-6 du code de commerce réserve au Ministre de l’économie la faculté de saisir les juridictions compétentes désignées par l’article D. 442-3 du code de commerce (dont Paris) et rappelle que « l’action ainsi attribuée au ministre au titre d’une mission de gardien de l’ordre public économique pour protéger le fonctionnement du marché et de la concurrence est une action autonome dont la connaissance est réservée aux juridictions étatiques au regard de sa nature et de son objet. Le ministre n’agissant ni comme partie au contrat ni sur le fondement de celui-ci, la clause des contrats attribuant la compétence aux juridictions britanniques est manifestement inopposable au ministre et inapplicable au présent litige. Cette clause étant inapplicable, il convient d’appliquer les règles de compétence du Règlement Bruxelles I. »
La solution serait différente pour une autre partie en demande compte tenu de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne qui considère l’action relevant de la responsabilité contractuelle (CJUE 14 juillet 2016 aff. C-196/15 GRANAROLO).
Deuxième enseignement : loi applicable
« L’action du ministre n’est pas une action indemnitaire fondée sur un manquement aux obligations contractuelles, mais une action publique fondée sur le comportement fautif d’une des parties à la relation commerciale ayant consisté à violer une disposition légale (en imposant à l’autre partie des clauses affectées de nullité). De plus, le comportement reproché à ces parties ne peut être considéré comme un manquement aux obligations contractuelles, telles qu’elles peuvent être déterminées compte tenu de l’objet du contrat, mais comme la violation de règles d’ordre public. »
L’objet de la procédure ne relève donc pas de la « matière contractuelle », mais de la « matière délictuelle », d’où il découle que le règlement Rome II du 11 juillet 2007 s’applique.
Pour la Cour, les parties ont choisi la loi anglaise « mais le ministre, tiers au contrat, ne peut être considéré comme ayant librement consenti à cette clause. La clause des contrats désignant la loi anglaise lui est donc manifestement inopposable et inapplicable au présent litige. L’article 4.1 du règlement dispose par ailleurs : « Sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent ». Il s’agit bien du territoire français. La loi applicable est donc le droit français. »
La cour qualifie l’article L442-6 I 5° du code de commerce de loi de police, ce que nous savions déjà pour les abus en matière de délais de paiements : « L’article L. 442-6, I, 2° et l’article L. 442-6, II, d) du code de commerce prévoit des dispositions impératives dont le respect est jugé crucial pour la préservation d’une certaine égalité des armes et loyauté entre partenaires économiques et s’avèrent donc indispensable pour l’organisation économique et sociale. Le régime spécifique commun à ces délits civils prévu au III, caractérisé par l’intervention du ministre de l’économie pour la défense de l’ordre public, et les instruments juridiques dont celui-ci dispose, notamment demander le prononcé de sanctions civiles, illustrent l’importance que les pouvoirs publics accordent à ces dispositions. Il s’agit donc de lois de police qui s’imposent au juge du for, même si la loi applicable est une loi étrangère. »
Troisième et dernier enseignement : sur les pratiques
L’article L. 442-6 du code de commerce n’est pas applicable qu’au secteur de la grande distribution, ce que l’on savait déjà.
La clause de parité impose à l’hôtelier de faire bénéficier automatiquement Expedia des conditions (tarifaires, non tarifaires et promotionnelles) au moins aussi favorables que celles accordées via les autres réseaux de distribution (plate-formes concurrentes, autres formes de distribution par des tiers concurrents, ventes par l’hôtelier lui-même sur son propre site ou dans le cadre de la vente directe de ses nuités). Ceci est contraire à l’article L. 442-6, II, d) qui sanctionne seulement l’alignement automatique sur les conditions plus favorables consenties aux « entreprises concurrentes ».
La clause des contrats garantit également à Expedia des tarifs inférieurs d’au moins 25 % aux meilleurs tarifs disponibles, ce qui est contraire à l’article L. 442-6, II, d) du code de commerce, mais seulement en tant qu’elle vise l’alignement sur les meilleures conditions consenties aux concurrents tiers et non celles pratiquées par les canaux de distribution de l’hôtelier lui-même (vente en ligne ou vente directe).
La clause de disponibilité de la chambre dite « de la dernière chambre disponible » prévoit que, quel que soit le nombre de chambres disponibles à la vente, l’hôtel doit réserver à Expedia la dernière chambre qui serait disponible sur son site.
Il s’agit là pour la Cour d’appel « d’une garantie d’alignement d’Expedia sur les meilleures conditions en termes de disponibilité de chambres ». « Cette clause dans ses diverses versions est donc contraire à l’article L. 442-6,II, d), mais sous les mêmes réserves d’interprétation que la clause de parité. »
La nullité de ces clauses est donc prononcée.
La cour ajoute que « les clauses sont appréciées dans leur contexte, au regard de l’économie du contrat et in concreto. La preuve d’un rééquilibrage du contrat par une autre clause incombe à l’entreprise mise en cause, sans que l’on puisse considérer qu’il y a inversion de la charge de la preuve. », ce qui permet d’apprécier l’économie générale du contrat, non plus un raisonnement clause à clause seulement.
Frédéric Fournier
Avocat Associé