La réforme du contentieux de l’urbanisme : point sur les dispositions en vigueur depuis le 19 août 2013
L’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme est entrée en vigueur le 19 août 2013. Les nouvelles dispositions réforment profondément le contentieux de l’urbanisme et impactent autant le droit de recours des justiciables que l’office du juge administratif.
1- L’intérêt à agir du requérant
L’article L.600-1-2 du Code de l’urbanisme (C. Urb.) conditionne l’intérêt à agir du requérant à l’atteinte que le projet est susceptible de lui porter. En effet, les travaux autorisés doivent « affecter directement » les conditions d’occupation, d’utilisation et de jouissance du bien que le requérant détient ou occupe régulièrement ou dont il bénéficie en vertu d’une promesse de vente, d’un bail ou d’un contrat de vente d’immeuble à construire.
L’intérêt à agir est donc défini plus restrictivement puisque jusqu’à présent il suffisait au requérant d’établir que sa qualité de voisin immédiat sans qu’il soit besoin de démontrer une quelconque atteinte.
L’article L.600-1-3 C. Urb. précise en outre que l’intérêt à agir s’apprécie à la date d’affichage en mairie de la demande de permis de construire (cette nouvelle condition a une importance essentiellement au regard des associations qui se créent pour contester des opérations d’urbanisme).
Cette précision nouvelle apportée par la loi est importante (même s’il faudra attendre l’expérience jurisprudentielle pour connaître précisément comment ces dispositions seront appliquées). Les constructeurs et promoteurs devront désormais analyser avec précision la situation des requérants (riverains et associations) afin de contrer au mieux la recevabilité de leurs recours. La phase préalable de l’analyse et de l’examen de l’intérêt à agir des requérants va, en tout état de cause, devenir un point très important du procès d’urbanisme.
2- L’étendue des pouvoirs du Juge administratif
Le Juge administratif acquiert indéniablement des compétences nouvelles à plusieurs titres.
2.1- Tout d’abord, le Juge administratif peut autoriser la régularisation des autorisations d’urbanisme irrégulières de 2 façons :
– soit en limitant l’annulation de l’autorisation au(x) seul(s) vice(s) affectant une partie du projet : le juge peut même inviter le bénéficiaire à régulariser dans un délai déterminé (L.600-5 C. Urb.) ;
– soit en ordonnant un sursis à statuer pour permettre au bénéficiaire de l’autorisation de déposer un permis de construire modificatif dans un délai imparti lorsque l’illégalité constatée est régularisable (L.600-5-1 C. Urb.).
Ces nouveaux pouvoirs de régularisation en cours de contentieux conférés au Juge administratif sont à mettre en perspective avec l’évolution générale du contentieux administratif, à l’instar par exemple du contentieux des contrats, qui tend à sauver l’autorisation d’urbanisme en proposant une alternative à l’annulation totale.
Ces pouvoirs (dont les prémices sont antérieurs) transforment en tout état de cause l’office juge administratif qui devient, ce faisant, « partie prenante » à la confection de l’autorisation administrative finale (ce qui implique, là aussi, une gestion du procès assez complexe).
S’il faudra, sur ce point aussi, tenir compte des retours d’expérience jurisprudentielle à venir, ces dispositions doivent être appréhendées par les constructeurs et promoteurs dans le cadre de leurs projets. Ces derniers devront en effet faire le tri entre les prescriptions d’urbanisme incontournables, qui valent pour l’ensemble du projet, qui ne permettront pas l’annulation partielle ou de régularisation et celles qui leur offrent des alternatives à la marge du projet et qui pourront être « retraitées » ultérieurement en cas de contestation.
2.2- Outre ces pouvoirs nouveaux conférés au Juge administratif, ce dernier peut allouer au bénéficiaire du permis de construire des dommages et intérêts lorsque le recours contre l’autorisation d’urbanisme excède la défense des intérêts légitimes du requérant et cause un préjudice excessif au bénéficiaire du permis (L.600-7 C.Urb.).
Le bénéficiaire peut alors former des conclusions reconventionnelles par un mémoire distinct aux fins de condamnation du requérant au paiement de dommages-intérêts.
Cette disposition conditionne strictement l’exercice de ces demandes reconventionnelles à la démonstration d’un recours « abusif » d’une part et d’un préjudice excessif d’autre part dont le contenu et la portée exacts ne seront connus qu’à l’aune de la jurisprudence. Cette disposition est incontestablement un élément fort au crédit des constructeurs et promoteurs qui seront, vraisemblablement, incités à formuler systématiquement des conclusions indemnitaires à l’encontre du requérant. De telles conclusions exerceront une pression non négligeable sur les requérants qui seront ainsi incités à plus de prudence (avec la contrepartie évidente à terme : ces requérants vont probablement devenir de plus en plus spécialisés).
Inversement, les constructeurs-promoteurs devront également être vigilants : il ne suffira probablement pas de formuler des conclusions reconventionnelles, il faudra aussi démontrer le préjudice concrètement subi pour justifier la demande de dommages-intérêts (ce qui pourrait conduire ces derniers à devoir communiquer des données économiques et financières qu’ils pourraient considérer relever de leur secret des affaires).
De ce point de vue, l’évolution des outils donnés au Juge administratif est incontestablement une avancée pour réduire une partie des recours intentés contre les projets d’urbanisme. Dans le même temps, ces nouveaux outils vont générer une sophistication évidente des contentieux (qui par nature rallongent les délais de jugement et accroissent les aléas judiciaires), mais aussi des stratégies nouvelles.
On ajoutera, en outre, que d’un point de vue purement juridique, le droit à formuler des conclusions reconventionnelles transforme le contentieux de l’urbanisme en un contentieux mixte. Il restera en effet un contentieux de la légalité de l’autorisation (avec le juge partie prenante) tout en devenant également un contentieux du préjudice (sur la question des dommages-intérêts qui sera d’autant plus complexe à gérer qu’il s’agira pour la juridiction administrative de trancher des préjudices civils …).
3- L’encadrement des transactions entre les parties
Enfin, les transactions qui ont lieu entre les parties en cours d’instance sont soumises à l’obligation d’enregistrement auprès de l’administration fiscale. La contrepartie prévue par une transaction non enregistrée est réputée sans cause et les sommes versées ou celles qui correspondent au coût des avantages consentis sont sujettes à répétition (L.600-8 C. Urb.).
Cette disposition devrait être accueillie favorablement par les constructeurs-promoteurs dans la mesure où une telle mesure pourrait être de nature à réduire les contentieux à visée pécuniaire. Néanmoins, cette disposition devra être aussi appréhendée avec prudence : en effet, une telle obligation, quand bien même a-t-elle des conséquences fiscales, n’est pas spécifiquement dissuasive. Inversement, les constructeurs-promoteurs vont être confrontés à une forme de transparence nouvelle sans certitude qu’ils en tirent un avantage réel.
4- Quelles que soient les interrogations immédiates et actuelles, ces dispositions offrent de nouvelles perspectives dont il convient de tenir compte tant lors de l’élaboration des projets que dans le cadre de la gestion des contestations, étant souligné qu’il ne s’agit là que d’une première étape puisque le projet de loi ALUR en discussion devant le Parlement pourrait in fine compléter ce dispositif.
Ombeline Soulier Dugénie
Avocat à la Cour / Attorney-at-law