Les travaux réalisés conformément à une autorisation d’urbanisme ne peuvent faire l’objet d’un arrêté interruptif de travaux
1- Par un arrêt du 26 juin 2013(CE, 26 juin 2013, SCI Danjou, req. n°344331) le Conseil d’Etat a jugé qu’un maire ne pouvait légalement interrompre des travaux réalisés en conformité avec une autorisation d’urbanisme même s’il estime que ces travaux méconnaissent les règles d’urbanisme et notamment celles issues du POS.
Dans cette affaire, le maire de Boulogne-Billancourt a tout d’abord pris un 1er arrêté interruptif de travaux à l’encontre de la SCI Danjou aux motifs que les travaux en cours n’étaient pas conformes aux autorisations d’urbanisme accordées.
Puis, un mois plus tard, le maire a pris un 2nd arrêté interruptif de travaux à l’encontre de la SCI Danjou aux motifs que les travaux n’étaient pas conformes au plan d’occupation des sols (POS).
Parallèlement, des poursuites pénales ont été mises en oeuvre par le Ministère Public à l’encontre de la SCI Danjou (en application des articles L.480-1 et L. 480-4 du Code de l’urbanisme, le maire qui constate des infractions d’urbanisme dresse un PV d’infractions qu’il adresse sans délai au Ministère Public. Ce dernier peut alors décider de classer l’affaire sans suite ou de poursuivre l’auteur de l’infraction).
2- Forte de l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles, statuant en matière correctionnel, ayant jugé que les travaux étaient conformes à ses autorisations d’urbanisme, la SCI Danjou a recherché la responsabilité de l’Etat en raison des illégalités fautives résultant des arrêtés interruptifs de travaux (la responsabilité de l’Etat est engagée et non celle de la Ville de Boulogne-Billancourt car le maire agit au nom de l’Etat lorsqu’il fait usage de ses pouvoirs qu’il détient au titre de l’article L.480-2 du Code de l’urbanisme).
Le Tribunal administratif et la Cour administrative de Versailles ont d’abord jugé que seul le 1er arrêté interruptif de travaux était illégal et donc susceptible d’ouvrir droit à une indemnisation en faveur de la SCI Danjou. Ils avaient en revanche considéré que le 2nd arrêté interruptif avait été pris sur le fondement d’une autre motivation tenant à l’illégalité des travaux à certaines dispositions POS. C’est sur cette seule circonstance – tenant au fait que l’arrêté interruptif de travaux n°2 était fondé sur la seule violation du POS – que les Juges du TA et de la CAA de Versailles avaient considéré que le 2nd arrêté interruptif de travaux n’était pas illégal.
Le Conseil d’Etat n’a pas validé cette position et a annulé l’arrêt d’appel.
Le Conseil d’Etat censure le raisonnement des 1ers juges car il considère que le 2nd arrêté interruptif de travaux est aussi illégal. Le Conseil d’Etat reprend les constatations du Juge pénal selon lesquelles les travaux ont été exécutés conformément à une autorisation d’urbanisme, et ce, alors même que le maire estimerait que les règles d’urbanisme et notamment celles issues du POS auraient été méconnues.
3- Cette décision est parfaitement cohérente et conforme au droit.
Et pour cause, dès lors qu’une autorisation d’urbanisme est devenue définitive (purgée des recours des tiers), elle ne peut être remise en cause par le biais de son exécution (l’existence d’une autorisation d’urbanisme est une chose, sa « bonne » mise en oeuvre en est une autre) . Ce faisant, le Conseil d’Etat ne fait que rappeler la distinction fondamentale entre le contentieux de la légalité de l’autorisation d’urbanisme et le contentieux de l’exécution de l’autorisation d’urbanisme.
Partant, la circonstance que la construction aurait été réalisée en méconnaissance des dispositions du POS est inopérante car l’autorisation d’urbanisme définitive vient ainsi faire « écran ». Il est en effet a minima légitime de considérer qu’une autorisation d’urbanisme délivrée par une administration après instruction est censée être conforme à la réglementation qu’elle applique.
Considérer qu’un permis de construire délivré sur la base du POS (PLU) applicable pourrait être indirectement remis en cause au motif que « finalement » elle ne serait pas conforme à ce POS serait très manifestement contraire à la sécurité juridique (et au principe des « droits acquis »). En statuant ainsi, le Conseil d’Etat vient in fine simplement rappeler le caractère inattaquable de l’autorisation d’urbanisme devenue définitive.
Ainsi, le Conseil d’Etat n’a pas suivi l’argumentation de l’Etat qui visait à tenter de contourner les autorisations d’urbanismes accordées et devenues définitives en soulevant la non-conformité des constructions au POS. Car soutenir que les constructions étaient conformes aux autorisations d’urbanisme mais qu’elles n’étaient pas conformes aux POS revenaient à dire que les autorisations d’urbanisme délivrées étaient illégales au regard du POS (alors même qu’elles ont été délivrées par l’autorité administrative précisément sur le fondement et en conformité avec ledit POS).
Le Conseil d’Etat a donc refusé de cautionner l’argument de l’Etat et conclut, en toute logique, que le motif de la méconnaissance de la règlementation d’urbanisme ne peut pas, en droit, fonder l’interruption de travaux réalisés conformément à l’autorisation d’urbanisme délivrée.
4- Cette décision opère, directement ou indirectement plusieurs rappels.
Elle rappelle d’abord aux pouvoirs publics qu’ils n’ont pas tout pouvoir – et notamment pas celui de détourner la réglementation – à l’encontre des administrés. Une fois qu’une autorisation est délivrée et définitive, l’autorité administrative doit en prendre acte, la respecter et la faire respecter (en s’assurant par exemple que les travaux réalisés sont conformes à l’autorisation donnée). Ce faisant, il nous semble que le Conseil d’Etat, au-delà du respect des droits acquis, assure un certain équilibre : l’autorité administrative est en effet censée refuser une demande de permis de construire qui ne serait pas conforme à la réglementation d’urbanisme. Et, dans l’hypothèse où une irrégularité lui aurait échappé, l’autorité administrative peut « régulariser » la situation a posteriori soit avec le concours des tiers qui auront engagé un recours, soit spontanément dans le cadre du délai de retrait (3 mois à compter de la signature). Mais, une fois ces « filtres » passés, l’autorisation délivrée s’impose : elle constitue le droit applicable.
Cette décision vient, ainsi et ensuite, confirmer, une fois de plus, l’importance pour les bénéficiaires d’une autorisation d’urbanisme de procéder aux formalités d’affichage afin de disposer d’une autorisation définitive. Ces formalités permettent en effet de purger les délais de recours des tiers et in fine, renforcer l’autorisation d’urbanisme obtenue.
On relève enfin, de façon incidente, que cette décision nous semble accompagner le mouvement législatif actuel visant à réformer le contentieux de l’urbanisme et le droit du recours dans le sens d’une meilleure sécurisation des autorisations d’urbanisme.
Ombeline Soulier Dugénie
Avocat à la Cour / Attorney-at-law
Alexandre Le Mière
Associé / Partner
Avocat