Comprendre les conditions de mise en oeuvre des critères d’attribution du marché public
1. Le droit de la commande publique oblige les acheteurs publics à indiquer aux opérateurs économiques les critères de sélection des offres (art. 53 CMP), c’est à dire les paramètres retenus à partir desquels les offres seront jugées et classées.
Les critères de sélection des offres sont un élément fondamental de l’ingénierie de l’achat public dans la mesure où ils renseignent les opérateurs économiques candidats sur la façon dont l’acheteur public se positionne pour sa commande.
Pour simplifier par l’exemple, si l’acheteur public retient un critère de prix de 30 % et un critère technique de 70 %, cela signifie qu’il privilégie largement la technicité de la prestation attendue par rapport au prix : c’est en toute hypothèse le message qu’il passe aux opérateurs économiques candidats.
L’indication et la précision des critères de sélection des offres sont donc des paramètres majeurs pour les opérateurs économiques tant dans leur choix de concourir que dans l’élaboration du contenu et de la prestation de leurs offres.
2. Les acheteurs publics ont donc l’obligation d’indiquer aux candidats les critères de sélection des offres avec leurs taux de pondération retenus (art. 53-II CMP) et de préciser les « conditions de leur mise en oeuvre » (CE, Sect., 30 janvier 2009, Agence nationale pour l’emploi, req. n° 290236 ; Guide de bonnes pratiques en matière de marchés publics, circulaire du 14 février 2012, § 10.3.2.1).
Cependant, ces conditions de mise en oeuvre ne sont pas définies. La jurisprudence précise seulement que les conditions de mise en oeuvre des critères doivent être déterminées selon des modalités appropriées à l’objet, aux caractéristiques et au montant du marché à conclure.
Il est au demeurant admis que « les conditions de mise en oeuvre » vise un concept « suffisamment vague pour inclure tout ce qui, étant susceptible d’influer sur le comportement des opérateurs dans l’élaboration de leurs offres, doit être communiqué au préalable » (N Boulouis, conclusions sous CE, 31 mars 2010, Collectivité Territoriale de Corse, req. n° 334279).
Dans ce contexte, s’il appartient naturellement aux acheteurs publics d’indiquer dans les documents de la consultation les conditions de mise en oeuvre des critères qu’ils ont retenus, il revient également aux opérateurs économiques d’être vigilants et d’identifier les conditions de mise en oeuvre retenues pour appréhender précisément les attentes de l’acheteur public et élaborer au mieux leur offre au regard de ces attentes.
3. La difficulté peut cependant provenir, pour l’opérateur économique candidat, de l’insuffisante définition des besoins par l’acheteur ou de l’imprécision de son cahier des charges. Dans ce cas, l’acheteur public ne permet pas à l’opérateur d’identifier correctement les conditions de mise en oeuvre des critères qu’il a annoncés. Ce qui peut conduire à la remise en cause de la procédure.
La Cour administrative d’appel de Douai vient de confirmer l’annulation de l’attribution d’un marché global de conception et de construction d’une maison d’accueil spécialisée lancé par un hôpital public (CAA Douai, 19 avril 2012, Hôpital local de Saint-Valéry-sur-Somme, req. n° 11DA00142).
La Cour a en effet constaté que si le pouvoir adjudicateur avait retenu un critère (à hauteur de 25%) notamment relatif à la qualité architecturale et environnementale du projet, il ne ressortait d’aucun des documents de la consultation qu’une information appropriée avait été donnée aux candidats sur ladite qualité architecturale et environnementale du projet. La Cour précise que les « rares indications sur l’aspect environnemental » et les « quelques éléments épars en matière architecturale », dont elle souligne qu’ils sont « non caractérisés », sont insuffisantes. Ce faisant, la Cour relève (implicitement) que l’acheteur public a failli à son obligation d’indiquer les conditions de mise en oeuvre de ses critères.
La Cour en déduit qu’alors même que le critère relatif à la qualité architecturale et environnementale avait une part importante dans le jugement des offres (25%), le fait que l’acheteur public n’ait pas fourni « d’indication suffisante sur ses attentes en la matière » implique qu’il s’est conféré « une liberté de choix discrétionnaire » incompatible avec les principes fondamentaux de la commande publique.
4. La notion de « conditions de mise en oeuvre » apparait ainsi précisée par cette décision qui explicite la corrélation entre les critères de sélection des offres et le contenu et l’objet du marché : si, comme dans cette affaire, l’acheteur voulait sélectionner une offre au regard d’aspects architecturaux et environnementaux, il devait préciser ses attentes concrètes et matérielles en la matière dans les documents de la consultation.
Les opérateurs économiques candidats sont ainsi invités à examiner de très près les attentes matérielles et concrètes des acheteurs publics et à s’assurer de leur corrélation et leur cohérence avec les critères de sélection des offres.
Quitte à interroger l’acheteur en cours de consultation si les documents de la consultation apparaissent imprécis, voire insuffisants.
Alexandre Le Mière
Avocat associé