Le candidat au marché public doit analyser correctement les documents de la consultation et veiller à la précision de son offre
Le Conseil d’Etat vient de rappeler aux candidats aux marchés publics qu’ils ont l’obligation de respecter précisément les exigences imposées par le pouvoir adjudicateur lors d’un appel d’offres, dans un arrêt du 12 mars 2012 (Clear Channel France, Villiers sur Marne, req. n° 353826).
A défaut, leur offre peut être irrégulière avec comme conséquence non seulement d’être écarté de la procédure mais également l’impossibilité de pouvoir contester la procédure de passation à laquelle ils ont soumissionnée.
1. L’affaire, qui donne l’occasion au Conseil d’Etat de rappeler aux candidats aux marchés publics qu’ils doivent être précis et professionnels lorsqu’ils soumissionnent aux appels d’offres, repose, au plan juridique, sur la notion de variantes.
La variante consiste, pour le candidat, à proposer certaines modifications des spécifications énoncées par le pouvoir adjudicateur dans le cahier des charges (voir notamment sur ce point : CE, 5 janvier 2011, Société Technologie alpine sécurité et commune de Bonneval-sur-Arc, req. n° 343206).
Aux termes de l’article 50-I du Code des marchés publics (CMP), le pouvoir adjudicateur a la possibilité d’autoriser ces variantes (dans les procédures formalisées) ; cependant, s’il ne précise ni n’indique rien à ce sujet, les variantes sont interdites.
Précisons ici que cette interdiction n’est pas sans conséquence : en effet, si le candidat propose une ou des variantes alors qu’elles sont interdites, il s’expose au risque de voir la totalité de son offre rejetée.
Cependant ce point n’étant pas précisément tranché en droit, il revient aux candidats aux marchés publics, compte tenu des incertitudes juridiques, d’être extrêmement vigilant sur la présentation éventuelle de variante(s) dans une procédure formalisée lors de chaque appel d’offres.
2. Dans cette affaire jugée par le Conseil d’Etat, la Ville de Villiers-sur-Marne avait lancé une consultation pour un marché de services portant sur la fourniture, l’installation, l’entretien et l’exploitation commerciale de mobiliers urbains sur son domaine public.
Elle avait expressément autorisé des variantes pour « les seules dispositions relatives aux délais et aux fréquences de nettoyage et d’entretien » des mobiliers exploités.
L’un des candidats avait cependant remis, à l’appui de son offre, différents modèles ou « design » de mobiliers urbains.
La première question qui se posait était donc de savoir si la présentation de ces différents modèles de mobiliers relevait de la notion de variante.
3. Compte tenu des dispositions de l’article 50 CMP, le Conseil d’Etat, s’en est tenu à la stricte lecture des documents de la consultation : il a donc considéré que toutes autres variantes que celles expressément autorisées étaient interdites.
Cependant, le Conseil d’Etat relève, de façon prudente (en retenant une formulation conditionnelle), que les variantes s’apprécient au regard de l’article 50 CMP, c’est-à-dire au regard de spécifications techniques.
Or, il note que les différences entre les modèles proposés par le candidat ne portaient pas sur les spécifications techniques attendues par le pouvoir adjudicateur, ce qui le conduit à indiquer qu’il ne s’agissait pas variantes.
Il s’ensuit que, de ce point de vue, l’offre du candidat n’était pas irrégulière.
4. Néanmoins, il relève dans le même temps, que pour départager les offres, le pouvoir adjudicateur avait énoncé un critère tenant à la valeur esthétique des mobiliers urbains proposés par les candidats.
Or, en proposant plusieurs modèles à l’appui de son offre, le candidat a empêché le pouvoir adjudicateur d’appliquer ce critère et donc d’apprécier sur ce point son offre puisqu’elle était imprécise ou indéterminée (en également mentionné que le Conseil d’Etat relève qu’en cours de procédure, le pouvoir adjudicateur avait précisé que les candidats n’étaient pas autorisés à présenter plusieurs modèles de mobiliers).
De ce point de vue, l’offre du candidat était donc irrégulière.
Le Conseil d’Etat en déduit logiquement qu’il n’était donc pas possible de reprocher à la personne publique d’avoir écarté cette offre lors de cette consultation ; partant, la procédure contestée n’aurait pas dû être remise en cause par le premier juge.
Il est ainsi clairement indiqué aux opérateurs économiques candidats que leurs offres doivent être précises : en effet, le pouvoir adjudicateur ne peut pas faire de choix entre plusieurs solutions proposées dès lors que cela impacterait le jugement des offres.
Les candidats doivent donc précisément énoncer ce qu’ils proposent dans leur offre pour répondre au besoin exprimé par le pouvoir adjudicateur ; à défaut, leur offre peut être rejetée comme étant irrégulière, anéantissant ainsi tout le travail accompli pour élaborer la réponse et soumissionner à la consultation.
5. Il convient enfin d’ajouter que la sanction de l’offre ainsi imprécise ou indéterminée ne se limite pas à son irrégularité : elle s’étend, au plan contentieux, à l’impossibilité de contester la procédure de passation dans son ensemble alors même qu’elle présenterait d’autres irrégularités.
En effet, dès lors que l’offre d’un candidat est irrégulière, il n’est pas recevable à invoquer certaines autres éventuelles irrégularités de la procédure de passation si elles ont été sans influence sur sa situation et qu’elles n’ont donc pas pu le léser (CE, 3 octobre 2008, SMIRGEOMES, req. n° 305420).
En l’espèce, le Conseil d’Etat relève dans cette affaire que l’éventuelle irrégularité tenant à la modification de la notation d’un des critères de sélection des offres (autre que le critère esthétique) ne peut pas être invoquée par le candidat malheureux dès lors que son offre, rejetée pour un autre motif, était irrégulière et ne pouvait donc pas être classée.
6. Cette affaire, qui différencie subtilement les variantes de l’offre à solutions multiples, montre à quel point les opérateurs économiques candidats doivent être précis et professionnels tant dans l’analyse des documents de la consultation que dans l’élaboration de leurs offres.
Pour accroitre leur ingénierie de réponse, soumissionner de façon la plus opérationnelle possible et maximiser leurs chances de remporter les appels d’offres, ils doivent ainsi notamment être en mesure d’identifier si les variantes sont ou non autorisées et, le cas échéant, de déterminer ce qui relève des variantes ou des modalités de réponse à l’appel d’offres, tout en élaborant une offre précise et déterminée pour éviter toute disqualification.
Alexandre Le Mière
Avocat associé