La contrefaçon de marque et la Cour de cassation : on ne la « lui » fait pas…
Il est jugé depuis longtemps que l’utilisation d’un signe protégé ne permet pas toujours de caractériser un acte de contrefaçon de marque au sens des articles L. 713-2 et L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle, par exemple lorsque le terme est employé en tant que titre d’ouvrage (cf. la jurisprudence « Ces Chers Disparus », CA Paris, 2 octobre 1996).
C’est donc sans grande surprise que, par un arrêt du 12 juillet 2011, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a approuvé la Cour d’appel de Paris d’avoir jugé que l’ouvrage « Elles ont posé pour lui » ne contrefaisait pas la marque « LUI » déposée par la société 1633, éditrice du fameux magazine masculin du même nom.
L’ouvrage en question, édité par Hachette Livre, était dédié à un photographe sous l’objectif duquel plusieurs célébrités avaient posé et compilait certains de ces clichés. La société 1633 se plaignait de l’usage du terme « Lui » dans le titre de l’ouvrage mais avait été déboutée de ses prétentions par la Cour d’appel de Paris.
Aux termes de son pourvoi, la société 1633 faisait valoir que la phrase « Elles ont posé pour lui » faisait référence au magazine « Lui » et que, par conséquent, il s’agissait d’un usage commercial à titre de marque portant atteinte à la fonction essentielle de la marque, celle de garantie d’origine.
Cependant, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi en considérant que le titre « Elles ont posé pour lui » ne désignait « qu’une oeuvre intellectuelle unique composée de clichés choisis dans le fonds photographique de JP X… alors que le produit, dans lequel cette oeuvre est matérialisée, est un livre identifié par la dénomination ‘Les Editions du Chêne’, seule de nature à garantir aux consommateurs la provenance du produit et à constituer une marque ».
La décision est intéressante, car elle considère, s’agissant d’un ouvrage, que seul le nom de l’éditeur (à l’exclusion de son titre) peut constituer une marque, envisagée comme un signe distinctif permettant de garantir l’origine d’un produit, l’arrêt rappelant en préambule que la contrefaçon de marque ne peut être caractérisée qu’en cas d’usage du signe considéré à titre de marque. Il est également intéressant de noter que la Cour fonde sa décision sur les articles L. 713-2 et L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle, « interprétés à la lumière de l’article 5 de la Directive 89/104 CEE du Conseil de l’Union européenne », ce qui constitue un nouveau témoignage de l' »effet direct » en droit interne des directives européennes en matière de propriété intellectuelle, effaçant certaines disparités de transposition.
Sur le fond, la question se pose alors de savoir si le nom d’un auteur ne pourrait pas être déposé à titre de marque et utilisé en tant que tel sur un ouvrage…
De manière plus anecdotique, la Cour de cassation a également rejeté le pourvoi en ce qu’il critiquait le rejet des demandes de la société 1633 sur le fondement de la concurrence déloyale. La Cour a retenu que le terme « lui » dans le titre « Elles ont posé pour lui » visait le photographe (désigné par ce pronom personnel) et que son usage relevait de l’exercice légitime de la liberté d’expression et d’information. Une solution empreinte de l’appréciation souveraine des juges du fond…
Matthieu Berguig
Avocat associé