Entente dans le secteur de la restauration des monuments historiques
Le Conseil de la concurrence s’était saisi d’office, en 2007, du volet concurrentiel d’un dossier faisant l’objet d’une procédure pénale ouverte devant le Tribunal de Grande Instance de Rouen à l’encontre de dirigeants d’entreprises pour participation à des ententes dans le secteur de la restauration des monuments historiques. L’Autorité de la concurrence, qui lui a succédé entre temps, a rendu le 26 janvier 2011 une décision par laquelle elle prononce des sanctions à hauteur de 10 millions d’euros à l’encontre de 14 entreprises condamnées pour s’être réparties la quasi-totalité des marchés publics de restauration des monuments historiques dans trois régions : Basse-Normandie, Haute-Normandie et Picardie.
Les enseignements concernant les règles procédurales
L’Autorité de la concurrence précise un peu un plus par cette décision l’étendue de son domaine de compétence. En ligne directe avec sa jurisprudence constante, l’Autorité affirme qu’elle n’est pas compétente pour connaître des comportements individuels des architectes en chef des monuments historiques lorsqu’ils exercent, en leur qualité de fonctionnaires de l’État et conformément à la mission d’intérêt général dont ils sont chargés en vertu de dispositions réglementaires, la maîtrise d’oeuvre des travaux de restauration des monuments historiques. En effet, ces derniers n’étant pas des opérateurs économiques indépendants des services de l’Etat, ils ne pouvaient être considérés comme intervenant sur le marché comme des offreurs de services de maîtrise d’oeuvre, la compétence de l’autorité se trouvant de facto écartée.
Cette décision apporte de nombreuses indications intéressantes concernant la procédure applicable et notamment des précisons inhérentes à l’interaction entre la procédure pénale et les règles procédurales spécifiques au droit de la concurrence.
Dans le cas d’espèce, plusieurs éléments soumis à l’analyse de l’Autorité avaient pour origine le dossier pénal comme par exemple des auditions, des documents saisis ou encore les écoutes téléphoniques. La question demeurait quant à l’utilisation de ces pièces au cours de la procédure devant l’Autorité. Dans cette décision l’autorité de la concurrence fait une application de la jurisprudence du Conseil constitutionnel (Cons. const., 30 juill. 2010), reprise par la chambre criminelle (Crim. 19 oct. 2010), décidant que la déclaration d’inconstitutionnalité des dispositions du code pénal relatives à l’organisation des gardes à vue qu’il prononçait prendrait effet le 1er juillet 2011. L’Autorité de la concurrence considère ainsi qu’elle peut valablement utiliser les procès-verbaux relatifs et consécutifs à la garde à vue des responsables des entreprises concernées dans le cadre de la procédure pénale ouverte devant le tribunal de grande instance de Rouen pour prouver l’existence d’une infraction aux dispositions de l’article L. 420-1 du code de commerce. En ce qui concerne les conséquences procédurales de l’instance en cours devant le tribunal de grande instance de Rouen, l’Autorité met en exergue en premier lieu le fait qu’en principe, l’autorité de la chose jugée au pénal ne s’impose aux autorités administratives qu’en ce qui concerne les constatations de fait que les juges répressifs ont retenues et qui sont le support nécessaire de leurs décisions (décision du Conseil d’Etat du 8 janvier 1971, ministre de l’Intérieur/Dame Desamis, Ass. n° 77800 ; ou, récemment, décision du 10 octobre 2003, Commune de Soisy-sous-Montmorency et Société anonyme pour l’aide à l’accession à la propriété des locataires, n° 259111).L’Autorité constate ensuite que le jugement du tribunal correctionnel de Rouen en date du 2 décembre 2008 ne procède à aucune constatation quant aux faits en litige devant l’Autorité de la concurrence. En effet, il se borne à constater l’imprécision de l’ordonnance de renvoi du 8 septembre 2006 pour en prononcer l’annulation Enfin, l’Autorité relève que l’ordonnance du juge d’instruction en date du 15 décembre 2009, qui ordonne le renvoi devant le tribunal correctionnel de dix-huit responsables d’entreprises sur le fondement des dispositions de l’article L. 420-6 du code de commerce, tout en considérant insuffisantes les charges afférentes à certains marchés spécifiques, n’est pas revêtue de l’autorité de la chose jugée. L’Autorité de la concurrence considère par conséquent qu’elle n’est donc liée dans la présente affaire par aucune constatation de fait retenue par le juge pénal à l’appui d’une décision revêtue de l’autorité de la chose jugée et affirme qu’en tout état de cause si les constatations de fait qui sont le support nécessaire d’une décision pénale s’imposent à elle, il lui appartient de donner aux faits soumis à son analyse leur qualification juridique au regard des dispositions des articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce, sous le contrôle de la cour d’appel de Paris.
Concernant la détermination des éléments de preuve, l’Autorité considère que la déclaration du représentant d’une entreprise reconnaissant sa participation à une entente constitue une preuve suffisante de l’existence et de la participation de l’entreprise à l’infraction visée. En revanche, l’autorité met en relief le fait qu’une déclaration mettant en cause une entreprise et émanant cette fois ci du représentant d’une entreprise concurrente constitue dans ce cas un simple indice de la participation de l’entreprise concernée à l’entente en cause qui doit nécessairement être corroborée par d’autres éléments de preuve.
Cette décision permet de clarifier également les interrogations relatives à la durée de la procédure et aux sanctions qui pourraient découler d’une durée excessive. Dans la lignée de la décision de la Cour de cassation du 23 novembre 2010 l’Autorité de la concurrence précise que la sanction qui s’attache à la violation par les autorités de concurrence de leur obligation de se prononcer dans un délai raisonnable n’est pas l’annulation de la procédure ou sa réformation mais la réparation du préjudice résultant éventuellement du délai subi sous réserve, toutefois, que la conduite de la procédure n’ait pas irrémédiablement privé les entreprises mises en cause des moyens de se défendre, de telles circonstances devant être appréciées concrètement de telle sorte qu’il soit démontré par les parties une « atteinte personnelle, effective et irrémédiable » à leur droit de se défendre, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
Les enseignements sur le fond
L’un des apports les plus intéressant de cette décision est qu’elle soulève une fois de plus la question de l’imputabilité à la société mère des pratiques de sa filiale et marque peut être le point de départ d’une future harmonisation avec la jurisprudence communautaire sur ce point .Selon la jurisprudence communautaire, lorsqu’une société mère détient 100 % du capital de sa filiale ayant commis une infraction aux règles communautaires de la concurrence, il est présumé que la société mère exerce une influence déterminante sur la politique commerciale de cette filiale (CJCE 10 sept. 2009, RTD com. 2010.). Ce principe s’impose à l’Autorité de la concurrence lorsqu’elle fait application des articles 101 et 102 TFUE. L’Autorité de la concurrence estime dans cette décision qu’il convient d’assurer la mise en oeuvre de règles d’imputabilité homogènes et, notamment, d’un standard de preuve unique, lorsqu’elle applique le seul droit interne de la concurrence ou lorsqu’elle applique simultanément le droit interne et le droit communautaire. Ainsi, même lorsqu’elle fait application des seules dispositions de droit interne, l’Autorité est fondée, dans un cas où une société mère détient la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale auteur d’un comportement infractionnel, à présumer l’exercice par la société mère d’une influence déterminante sur la politique commerciale de sa filiale, et à la tenir solidairement responsable pour le paiement de l’amende infligée à sa filiale.
Guillaume Gouachon
Avocat à la Cour