Google AdWords : la CJUE se prononce enfin
Depuis plusieurs mois, les décisions concernant le service AdWords de Google pleuvent telles les giboulées de mars, en énonçant parfois des solutions contradictoires quant à la responsabilité de la société américaine.
Il fallait que la Cour de Justice de l’Union Européenne (la « nouvelle » CJUE remplaçant la CJCE) se prononce sur la question, ce qu’elle vient de faire par un arrêt du 23 mars 2005 rendu à la suite de plusieurs questions préjudicielles posées par la Cour de cassation française (affaires Louis Vuitton Malletier, Viaticum et CNRRH).
L’arrêt, rendu par la Grande Chambre de la Cour, analyse dans le détail le rôle de Google en l’espèce, en tant que prestataire de référencement payant. Il s’agissait de déterminer si oui ou non Google commet des actes de contrefaçon en mettant à la disposition d’annonceurs des mots-clés reproduisant des marques, sans l’autorisation des titulaires, pour afficher des liens promotionnels lors d’une recherche sur ces mots-clés par les internautes. La même analyse porte sur le rôle des annonceurs dans un tel cas de figure.
Pour répondre à ces questions, la Cour devait appréhender les actes reprochés au regard des dispositions de l’article 5 de la directive 89/104 du 21 décembre 1988 en matière de marques (abrogée en 2008 mais applicable aux litiges), qui permet, notamment, au titulaire d’une marque d’empêcher l’usage, par un tiers, sans son accord, dans la vie des affaires, d’un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée.
Pour que des actes de contrefaçon de marque soient caractérisés, il faut donc que soient réunies cumulativement les conditions suivantes : (i) un usage d’un signe protégé dans la vie des affaires, (ii) pour des produits ou des services, (iii) ledit usage devant porter atteinte ou être susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque (fonction d’origine ou fonction de publicité).
En l’occurrence, et schématiquement, la CJUE a considéré que Google ne commettait pas d’actes de contrefaçon de marque dans le cadre de son service AdWords dès lors que le géant américain ne faisait aucun usage des marques en cause dans la vie des affaires. Selon la Cour, un tel usage implique « à tout le moins », pour un opérateur donné, une utilisation de ces signes dans le cadre de sa propre communication commerciale. Or, selon l’arrêt, en permettant aux annonceurs de sélectionner des signes identiques à des marques en tant que mots-clés, il se contente de permettre à des tiers de faire un usage de ces marques dans le cadre de leur communication.
Cette condition n’étant pas rapportée, la CJUE a estimé que « le prestataire du service de référencement ne fait pas un usage dans la vie des affaires au sens des dispositions de la directive 89/104 et du règlement 40/94 ».
Cette question résolue, la Cour devait vérifier si les annonceurs, pour leur part, commettent des actes de contrefaçon de marque en réservant des mots-clés identiques à des marques déposées. Sur ce point, la CJUE s’est référée à des décisions antérieures relatives à l’utilisation d’un signe dans des papiers d’affaires et de la publicité (notamment l’affaire Arsenal Football Club), pour retenir que la réservation d’un mot-clé identique à une marque sans l’autorisation du titulaire était bien contrefaisante. Elle a même précisé que le fait que la marque n’apparaisse pas dans la publicité n’était pas pertinent.
Il faut que l’annonceur ait cherché à présenter ses propres produits comme une alternative aux produits marqués. De manière plus générale, selon l’arrêt, « l’usage que l’annonceur fait du signe identique à la marque d’un concurrent pour que l’internaute prenne connaissance non seulement des produits ou des services offerts par ce concurrent mais également de ceux dudit annonceur, est un usage pour les produits ou les services de cet annonceur ».
Enfin, s’agissant du dernier point, la Cour a considéré que le titulaire de la marque pouvait interdire toute usage de son signe lorsque « l’annonce ne permet pas ou permet seulement difficilement à l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif de savoir si les produits ou les services visés par l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d’un tiers » (n° 84).
Dans le cas du service AdWords, la CJUE a retenu le fait que l’internaute pouvait se méprendre sur l’origine des produits ou des services en cause : « l’usage du signe identique à la marque par le tiers en tant que mot clé déclenchant l’affichage de ladite annonce est de nature à accréditer l’existence d’un lien matériel dans la vie des affaires entre les produits ou services concernés et le titulaire de la marque » (n° 85).
En revanche, la Cour a exclu l’idée selon laquelle une telle réservation porterait atteinte à la fonction de publicité de la marque : s’il est évident, selon l’arrêt, que l’usage de la marque en tant que mot-clé est « susceptible d’avoir certaines répercussions sur l’emploi publicitaire de ladite marque par son titulaire ainsi que sur la stratégie commerciale de ce dernier », « ces répercussions (…) ne constituent pas en soi une atteinte à la fonction de publicité de la marque » au motif que la recherche sur le mot-clé va donner lieu à l’affichage de liens grâce au référencement naturel.
Selon la Cour, cet affichage, purement logique et résultant de la pertinence des résultats, permet au titulaire de la marque de bénéficier d’une visibilité garantie sur Internet, indépendamment des perturbations résultant des liens promotionnels. Ce raisonnement nous paraît contestable dès lors que, souvent, les internautes ne sont pas à même de faire la différence entre les liens sponsorisés et les liens résultant du référencement naturel. La jurisprudence française a d’ailleurs condamné Google à plusieurs reprises au motif que les liens sponsorisés (ou commerciaux) n’apparaissaient pas de manière suffisamment nette sur la page des résultats.
En outre, le raisonnement de la Cour ne tient pas compte des conditions réelles de référencement des sites Internet par l’algorithme de Google. Il est faux de considérer que ce référencement est fondé exclusivement sur la pertinence car il est bien connu que le moteur de recherche fonctionne également en grande partie sur la popularité des sites. Il est ainsi fréquent que des sites Internet apparaissent dans les premiers résultats alors même qu’ils ne sont pas le site officiel d’un titulaire de marque. Le fait d’exclure l’atteinte à la fonction de publicité de la marque nous semble donc regrettable et constitue un « trou d’air » dans lequel les annonceurs peu scrupuleux pourraient s’engouffrer à l’avenir.
Enfin, à la question, subsidiaire, de savoir si Google pouvait bénéficier du régime de responsabilité allégé des prestataires d’hébergement, la CJUE a préféré botter en touche et renvoyer à l’appréciation des juridictions nationales, au cas par cas, en ne fixant que quelques lignes de conduite. En particulier, les juges doivent vérifier si le prestataire de référencement a eu un rôle actif ou bien s’est contenté de stocker les données, de manière « purement technique, automatique et passive ». Nul doute que les juridictions françaises vont se donner à coeur joie de délimiter le rôle de Google en l’espèce. On peut toutefois regretter que la CJUE n’ait pas donné une solution ferme sur ce point.
Matthieu Berguig
Avocat à la Cour
Spécialiste en Droit de la propriété intellectuelle