Google sévèrement condamnée pour son service AdWords

Google sévèrement condamnée pour son service AdWords

Se situant dans la lignée d’une jurisprudence désormais assez bien établie, un jugement rendu le 7 janvier 2009 par la troisième Chambre – troisième Section du Tribunal de Grande Instance de Paris est venu condamner très lourdement la société Google France au titre de son service de liens publicitaires AdWords, dans le cadre d’une affaire initiée par les sociétés Voyageurs du Monde et Terre d’Aventure.

Comme d’habitude, serait-on tenté de dire, les sociétés demanderesses reprochaient à Google de permettre l’affichage de liens commerciaux au profit de sociétés concurrentes sur le célèbre moteur de recherche lors de requêtes à partir des marques dont elles sont titulaires.

Cette décision porte sur chacun des points classiquement abordés dans ce type de contentieux (*).

1. Sur la validité des procès-verbaux de constat dressés par l’Agence pour la Protection des Programmes (APP) en matière de marques.

Comme la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 1er février 2008 (affaire GIFAM), le Tribunal a considéré que ces documents avaient valeur probante, alors même que l’APP ne dispose d’aucun pouvoir légal pour constater des infractions en dehors du droit d’auteur et des droits voisins.

Selon la décision, « rien ne s’oppose à ce que [les agents de l’APP] puisse également constater dans le cadre d’une activité accessoire des atteintes portées à d’autres droits de propriété intellectuelle, étant observé alors qu’il ne s’agit pas d’actes d’huissier relevant du régime des nullités instauré par le Code de procédure civile ni de procès-verbaux ayant la même force probante que ceux des agents ou officiers de police judiciaire, mais de simples constatations soumises à l’appréciation du Tribunal ».

Or, soulignant les conditions de confection de ces procès-verbaux et sur l’indépendance de l’APP, le Tribunal a considéré en l’espèce que les rapports établis à la demande de Terre d’Aventure et de Voyageurs du Monde rapportaient la preuve des faits litigieux.

2. Sur la responsabilité de la société Google France.

Face à l’argumentation, également classique, des sociétés Google qui soutenaient que la filiale française ne serait pas en charge du service AdWords mais uniquement de sa promotion sur le territoire français, le Tribunal a considéré que cette société en était bien responsable : « si la commercialisation du système AdWords est, pour des raisons économiques ou fiscales, située en Irlande et si le nom de domaine, les marques, les serveurs et l’exploitation matérielle du site google.fr sont le fait de la société Google Inc, cette circonstance ne saurait dégager la responsabilité de la société Google France, qui est la seule société du groupe à intervenir légalement en France et qui est celle qui apparaît et se comporte comme responsable sur ce territoire de l’activité publicitaire du site Internet portant le même nom, Google France ».

En d’autres termes, la troisième Chambre troisième Section du Tribunal a une nouvelle fois fait sien le critère de réalisme qu’elle avait déjà adopté dans unne décision du 12 décembre 2007 (affaire Syndicat Français de la Literie), prenant le contre-pied de la jurisprudence de la première Section de la même Chambre dans un jugement du 3 octobre 2007 (affaire Exotismes).

Cette troisième Section retient la responsabilité de la société Google France, alors même que son rôle dans l’exploitation du service AdWords n’est pas démontré, vraisemblablement parce que cela permet aux demanderesses d’exécuter plus facilement une décision de condamnation.

3. Sur l’atteinte aux droits des demanderesses

Cette solution réaliste s’imposait d’autant plus en l’espèce que le Tribunal est entré en voie de condamnation à l’encontre de Google. Une nouvelle fois, le juge a fondé sa décision non pas sur le fondement de la contrefaçon de marques (grief déjà écarté à de nombreuses reprises et notamment par les jugements des 12 juillet et 11 octobre 2006, affaires « GIFAM » et « Citadines »), mais sur celui de la responsabilité civile.

Reprenant en effet une motivation déjà éprouvée par le passé, le Tribunal a :

d’une part, considéré que seul l’annonceur pouvait commettre des actes de contrefaçon de marques, en réservant des mots-clés sur lesquels il ne détient aucun droit. De la sorte, le Tribunal est entré clairement en voie de dissidence avec la Cour d’appel de Paris, qui, dans un arrêt du 1er février 2008 (affaire « GIFAM ») a condamné Google pour contrefaçon ;

d’autre part, il a retenu, en revanche, que Google commettait une faute au sens de l’article 1382 du Code civil en tant qu’agence de publicité, « en ne vérifiant pas, après le choix par l’annonceur d’un mot-clé constituant une marque ou une dénomination sociale ou un nom de domaine, que cette utilisation par l’annonceur est licite, tant au regard du droit des marques qu’au regard des règles de loyauté du commerce ».

Cette solution n’est pas nouvelle : elle a déjà été retenue, notamment, dans la décision « Citadines » précitée.

Par ailleurs, le Tribunal a retenu un autre grief, celui de la « publicité mensongère » (sic), déjà retenu dans une décision du 12 décembre 2007 (« Belle Literie »). Le juge a considéré que la présentation des liens commerciaux sur la page de résultats du moteur de recherche était de nature à tromper les internautes.

Selon la décision, « cet emplacement et cette présentation des liens commerciaux ne sont pas suffisamment distinctifs pour permettre l’identification de leur caractère publicitaire et ce, alors que les internautes ne semblent pas à-même dans leur grande majorité de faire la différence entre les liens hypertextes issus du moteur de recherche et ceux sponsorisés ».

Ce faisant, le Tribunal a considéré que Google a violé l’article 20 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004, selon lequel toute publicité sur Internet doit être clairement identifiée comme telle, ainsi que l’article L. 121-1 du Code de la consommation.

Finalement, la seule nouveauté dans cette affaire réside dans le montant assez astronomique des condamnations prononcées – 200.000 euros de dommages et intérêt et 30.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile pour Voyageurs du Monde ; 150.000 euros et 30.000 euros pour Terres d’Aventure… Jackpot !

Matthieu Berguig

* Et analysés dans un article intitulé « Moteurs de recherche et liens sponsorisés : quand la jurisprudence se cherche… », par Thomas Rabant et Matthieu Berguig, Légipresse, Juin 2008.

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