Loi Création et Internet : la coupure de l’accès à Internet finalement retenue par le Sénat
Actuellement en débat devant le Parlement, le projet de loi « Diffusion et protection de la création sur Internet » est au centre de toutes les discussions à propos, notamment, des mesures destinées à lutter contre le téléchargement illicite et, plus particulièrement, du principe de « riposte graduée ».
La question porte essentiellement sur le point de savoir si un internaute pris sur le fait de télécharger des oeuvres protégées en méconnaissance des droits des auteurs peut ou non se voir priver de son accès à Internet.
Lors des discussions en commission, un amendement a été proposé, qui remplaçait cette coupure par une amende. Cependant, lors du débat au Sénat le 30 octobre dernier, cet amendement, contesté par le Gouvernement, a été rejeté.
Voici donc ci-après le mécanisme mis en place par le projet de loi.
Un nouvel article L. 336-3 du Code de la propriété intellectuelle disposerait que : « la personne titulaire de l’accès à des services de communication au public en ligne a l’obligation de veiller à ce que cet accès ne fasse pas l’objet d’une utilisation à des fins de reproduction, de représentation, de mise à disposition ou de communication au public d’oeuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou par un droit voisin sans l’autorisation des titulaires des droits prévus aux livres Ier et II lorsqu’elle est requise ».
Ce texte crée donc une obligation pour les abonnés à Internet de s’assurer que cet abonnement n’est pas utilisé par des tiers pour télécharger ou partager des oeuvres protégées.
Ouvrons une parenthèse pour signaler que les « tiers » en question peuvent naturellement être des membres de la famille (les enfants sont les personnes auxquelles on pense en premier), mais également, potentiellement, toute personne qui utilise cette connexion à Internet, même à l’insu du titulaire de l’abonnement. Tel serait le cas, par exemple, de celles et ceux qui « empruntent » la connexion Wi-Fi de leur voisin, à supposer que ce voisin n’ait pas été précautionneux.
Le texte poursuit sur ce point en exposant que le titulaire de l’abonnement ne peut voir sa responsabilité engagée s’il « a mis en oeuvre l’un des moyens de sécurisation figurant sur la liste mentionnée à l’article L. 331-30 » ainsi qu’en cas de fraude.
L’article L. 331-30 nouveau permet à cet égard à la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (la fameuse « Hadopi ») de dresser la liste des spécifications que les moyens de sécurisation des connexions doivent présenter pour permettre l’exonération de responsabilité des titulaires des abonnements.
Fermons cette parenthèse et revenons au sujet principal, c’est-à-dire les sanctions prévues en cas de téléchargement illicite. Comme cela a déjà été maintes fois exposé dans la presse, le texte a pour objet de mettre en place ce qui a été dénommé la « riposte graduée », laquelle consiste dans l’envoi, dans un premier temps, de mises en demeure successives adressées par la commission des droits de l’Hadopi, selon la régularité suivante :
– lors du signalement du téléchargement : le projet d’article L. 331-24 dispose que « lorsqu’elle est saisie de faits constituant un manquement à l’obligation définie à l’article L. 336-3, la commission de protection des droits peut envoyer à l’abonné, sous son timbre et pour son compte, par la voie électronique et par l’intermédiaire de la personne dont l’activité est d’offrir un accès à des services de communication au public en ligne ayant conclu un contrat avec l’abonné, une recommandation lui rappelant les prescriptions de l’article L. 336-3, lui enjoignant de respecter cette obligation et l’avertissant des sanctions encourues en cas de renouvellement du manquement. La recommandation doit également contenir des informations portant sur les dangers du téléchargement et de la mise à disposition illicites pour la création artistique » ;
– puis, « en cas de renouvellement, dans un délai de six mois à compter de l’envoi de la recommandation visée au premier alinéa, de faits susceptibles de constituer un manquement à l’obligation définie à l’article L. 336-3, la commission peut adresser unenouvelle recommandation par la voie électronique, dans les conditions prévues au premier alinéa. »
Les choses sérieuses commencent si l’internaute continue de télécharger des oeuvres protégées sans autorisation dans l’année suivant la première mise en demeure. Dans ce cas, des sanctions pourraient être prononcées.
Le projet d’article L. 331-25 du Code de la propriété intellectuelle dispose : « lorsqu’il est constaté que l’abonné a méconnu l’obligation définie à l’article L. 336-3 dans l’année suivant la réception d’une recommandation adressée par la commission de protection des droits et assortie d’une lettre remise contre signature ou de tout autre moyen propre à établir la preuve de la date d’envoi de cette recommandation et celle de sa réception par l’abonné, la commission peut, après une procédure contradictoire, prononcer, en fonction de la gravité des manquements et de l’usage de l’accès, la ou les sanctions suivantes… ».
Quelles seraient, alors ces sanctions ? Elles sont de trois ordres :
1. le projet de loi prévoit, finalement, la possibilité de suspendre l’accès à Internet de l’abonné, pendant une durée comprise entre un mois et un an : « la suspension de l’accès au service pour une durée de d’un mois à un an assortie de l’impossibilité, pour l’abonné, de souscrire pendant la même période un autre contrat portant sur l’accès à un service de communication au public en ligne auprès de tout opérateur ».
Le projet de loi prévoit, à cet égard, des mesures coercitives contre les fournisseurs d’accès à Internet : faute de procéder à ladite suspension dans un délai de quinze jours à compter d’une injonction de la Haute Autorité, cette dernière pourrait leur infliger une amende de 5.000 euros, au terme d’une procédure contradictoire (article L. 331-29). Un recours contre une telle décision, devant des juridictions déterminées par décret, devrait pouvoir être initié. Cette décision pourrait également être assortie d’un sursis à exécution.
2. le projet de loi prévoit également la possibilité, non pas de couper purement et simplement l’accès de l’internaute, mais de le limiter au seul envoi de courrier électronique : « en fonction de l’état de l’art, la limitation des services ou de l’accès à ces services, à condition que soit garantie la protection des œuvres et objets auxquels est attaché un droit d’auteur ou un droit voisin ».
On voit mal comment cette mesure pourrait trouver une application concrète. Non pas qu’il soit impossible a priori de distinguer entre l’accès au web et l’accès au courrier électronique, mais il est tout à fait possible d’envoyer des fichiers mp3, par exemple, par e-mail, ce qui rendrait cette disposition caduque, sauf à prévoir une taille maximale pour les pièces jointes. De la sorte, ce sont tous les fichiers volumineux (photos, notamment) qui ne pourraient plus être envoyés.
3. outre ces mesures qui font débat, le projet de loi prévoit la possibilité pour l’Hadopi d’adresser une injonction à l’abonné « de prendre des mesures de nature à prévenir le renouvellement du manquement constaté et à en rendre compte à la Haute Autorité, le cas échéant sous astreinte ».
Garantie pour les justiciables, le texte prévoit que « les sanctions prises en application du présent article peuvent faire l’objet d’un recours en annulation ou en réformation par les parties en cause devant les juridictions judiciaires ».
Il est à noter par ailleurs que, pour éviter tout prononcé de sanction intempestif, le projet de loi permet à la Haute Autorité de transiger avec l’internaute téléchargeur. Dans ce cas, plusieurs formules sont proposées, notamment celle en vertu de laquelle l’internaute accepterait une coupure de son accès à Internet pendant une durée d’un à trois mois (article L. 331-26):
« Avant d’engager une procédure de sanction dans les conditions prévues à l’article L. 331-25, la commission de protection des droits peut proposer à l’abonné passible de sanction une transaction. Celle-ci peut porter sur la ou les mesures suivantes :
« 1° Une suspension de l’accès au service d’une durée d’un mois à trois mois, assortie de l’impossibilité de souscrire pendant la même période un autre contrat portant sur l’accès à un service de communication au public en ligne auprès de tout opérateur ;
« 1° bis (nouveau) Une limitation des services ou de l’accès à ces services, à condition que soit ainsi garantie, en fonction de l’état de l’art, la protection des œuvres et objets auxquels est attaché un droit d’auteur ou un droit voisin ;
« 2° Une obligation de prendre des mesures de nature à prévenir le renouvellement du manquement et à en rendre compte à la Haute Autorité. »
Enfin, le projet de loi dispose que, lorsque l’accès à Internet est souscrit avec un accès à d’autres services (télévision, téléphone), la suspension ne peut concerner ces autres services.
Ce texte sera-t-il adopté dans des termes identiques par l’Assemblée nationale ? Réponse, en principe, en janvier 2009.
Matthieu Berguig
Avocat à la Cour