L’insertion professionnelle dans les marchés publics : l’achat politique

L’insertion professionnelle dans les marchés publics : l’achat politique

1. Pour attribuer un marché public au terme d’une procédure de publicité et mise en concurrence, l’acheteur public doit se fonder sur des critères non discriminatoires et liés à l’objet du marché.

Le Code des marchés publics mentionne (art. 53) un certain nombre de critères pouvant être retenus par l’acheteur à cette fin.

Parmi eux, l’acheteur public peut choisir un critère de sélection des offres tenant aux « performances en matière d’insertion professionnelle des publics en difficulté » sur lequel le Conseil d’Etat vient de se prononcer (CE, 25 mars 2013, Société PL Favier, req. n° 364950).

2. Il n’est a priori pas évident d’appréhender dans quelle mesure ce critère des « performances en matière d’insertion professionnelle » peut être non discriminatoire et lié à l’objet du marché.

En effet, il est légitime de considérer que l’objet d’un marché public, c’est à dire ce sur quoi il porte et ce pourquoi il est mis en oeuvre, se détermine au regard d’une part des besoins que la personne publique cherche à satisfaire en termes d’achat (art. 5 CMP) et d’autre part de l’impératif d’efficacité de la commande publique et de la bonne utilisation des deniers publics (art. 1 III CMP).

Une pure logique d’achat, qui consiste à satisfaire un besoin de prestation ou de fourniture au meilleur rapport qualité/prix, est étrangère à l’appréhension de facteurs « externes », tel, par exemple, que le type de personnes employées par l’opérateur titulaire du marché public. En effet, le résultat attendu par l’acheteur public doit être le même quel que soit l’opérateur titulaire.

Insérer un critère relatif aux performances en matière d’insertion exprime donc un choix de formule d’achat reposant sur des facteurs « externes » qui peuvent, par nature, être discriminants et non liés à l’objet du marché.

En effet, il peut être jugé discriminant de contraindre un opérateur à s’engager dans une démarche d’insertion pour accéder aux marchés publics, alors qu’il n’a lui-même pas fait ce choix.

On comprend également, sous cette vision, que le lien entre une démarche d’insertion et l’objet même d’un marché peut être difficile à établir.

Cette difficulté est d’ailleurs illustrée dans la décision du Conseil d’Etat qui juge que le critère de l’insertion professionnelle est en rapport avec l’objet d’un marché de travaux public dès lors qu’il est en partie « susceptible d’être exécuté, au moins en partie, par du personnel engagé dans une démarche d’insertion » (pt 6 de la décision). Or, il s’agit là d’un simple constat de fait. Il n’y a pas d’indication expliquant en quoi ou pourquoi l’insertion professionnelle aurait une quelconque efficience en termes de commande publique.

3. Sélectionner des entreprises pour exécuter un marché public au regard de critères « externes » à la pure logique de l’achat, tel que celui des performances en en matière d’insertion professionnelle est donc un choix politique.

Cela ne signifie nullement que ce soit d’une quelconque façon problématique.

Il est en effet légitime que le Politique puisse décider de considérer que l’achat public est un des outils à sa disposition pour atteindre certains objectifs, qui ne relèvent pas de la pure logique de l’achat.

C’est tout le mérite de la décision du Conseil d’Etat que de l’affirmer. Les opérateurs économiques doivent donc en prendre acte et s’organiser en conséquence pour répondre aux marchés publics qui requièrent des performances en matière d’insertion professionnelle.

4. Cependant, une fois ce constat posé, deux exigences émergent.

La première est que l’acheteur public doit avoir conscience de la portée de son choix.

Il doit en effet comprendre que solliciter des opérateurs la mise en oeuvre de « facteurs externes » a des impacts qui peuvent se traduire sur les coûts. L’acheteur public doit donc doser ses différents critères de sélection en conséquence pour que le rapport qualité/prix permette aux opérateurs économiques d’intégrer ces « facteurs externes ». C’est un impératif de cohérence.

La seconde, qui découle de la première, est que l’acheteur public doit être clair dans son choix.

Il doit donc être en mesure de poser et d’énoncer clairement la règle du jeu afin que les candidats puissent parfaitement appréhender ce que l’acheteur public attend. C’est un impératif de transparence.

Ces deux exigences sont impératives pour que les opérateurs économiques soient en mesure d’identifier précisément le choix de l’acheteur public et qu’ils aient le sentiment que c’est bien en fonction de ce choix qu’ils seront jaugés dans le cadre de la compétition.

Pour procéder au meilleur achat en obtenant le meilleur des entreprises, les acheteurs publics doivent donc d’abord définir de façon cohérente leur besoin, ensuite annoncer explicitement ce qu’ils attendent et enfin s’en tenir scrupuleusement à ce qu’ils ont énoncé.

Dans ce contexte, les opérateurs candidats aux marchés publics sont en mesure, en toute confiance, de s’adapter aux ambitions et exigences des acheteurs publics.

Alexandre Le Mière

Avocat associé

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