Acquisition de congés et maladie : l’employeur peut il invoquer la prescription ?

Dans plusieurs arrêts du 13 septembre 2023, la chambre sociale de la Cour de cassation a écarté le droit français, au profit du droit européen, pour consacrer le droit de tous les salariés en arrêt de travail pour maladie à acquérir des congés payés pendant leur période d’absence (v. notre précédente actualité).

L’employeur peut il invoquer la prescription pour contrer la demande d’un salarié malade ? Pas sur…

En effet dans un arrêt du même jour (Cass. soc., 13 sept. 2013, no 22-10.529 FP-B + R) la Cour de cassation juge que la prescription du droit à congé payé ne commence à courir que lorsque l’employeur a mis son salarié en mesure d’exercer celui-ci en temps utile.

  1. Les faits

Une enseignante a réalisé une prestation de travail auprès d’un institut de formation, pendant plus de 10 ans.  Ayant obtenu de la justice que cette relation contractuelle soit qualifiée en contrat de travail, elle a demandé à être indemnisée des congés payés qu’elle n’a jamais pu prendre pendant ces 10 années.

La cour d’appel a considéré que l’enseignante devait être indemnisée, mais uniquement sur la base des trois années ayant précédé la reconnaissance par la justice de son contrat de travail, le reste de ses droits à congé payé étant prescrit.

L’enseignante a formé un pourvoi en cassation.

  1. La décision

La Cour de cassation juge que le délai de prescription de l’indemnité de congé payé ne peut commencer à courir que si l’employeur a pris les mesures nécessaires pour permettre au salarié d’exercer effectivement son droit à congé payé.

Dans cette affaire, l’enseignante n’a pas été en mesure de prendre des congés payés au cours de ses 10 années d’activité au sein de l’institut de formation, puisque l’employeur n’avait pas reconnu l’existence d’un contrat de travail. Dès lors, le délai de prescription ne pouvait pas commencer à courir.

La Cour de cassation censure donc la décision de cour d’appel.

L’enseignante va pouvoir obtenir plus de 10 ans de congés payés…

En effet dans ce cas la prescription serait de 20 ans (article 2232 cciv)

  1. Que doit faire l’employeur pour faire courir la prescription ?

Selon la Cour de cassation, l’employeur doit inciter le travailleur à prendre ses congés en lui écrivant qu’il doit prendre ses congés.

Ceci étant, comment inciter le salarié en arrêt maladie à prendre des congés ? C’est évidemment impossible…

Selon nos informations, le ministère du Travail étudie les « options possibles » pour réagir à la position de la Cour de cassation.

Par Benjamin LOUZIER

Tout arrêt de travail pour maladie donne droit à des congés payés ! Une décision qui va couter cher aux entreprises !

Dans une décision très récente (Cass. soc. 13-9-2023 n° 22-17.340 FP-BR, Sté Transdev c/ Z Cass. soc. 13-9-2023 n° 22-17.638 FP-BR, B. c/ Sté Transports Daniel Meyer)la Cour de cassation opère un revirement qui va couter cher aux entreprises.

Se conformant à la réglementation européenne, la Cour de cassation juge désormais que le salarié malade acquiert des congés payés pendant les périodes de suspension du contrat de travail pour maladie non professionnelle et pour accident du travail au-delà d’un an.

Jusqu’à cette décision, le Code du travail (article L.3141-3) ne prenait pas en compte, pour le calcul des congés payés, ni les périodes d’absence pour maladie non professionnelle ni celles pour maladie ou accident d’origine professionnelle au-delà d’un an.

Par cette décision, la Cour écarte l’application des dispositions de l’article L 3141-3 du Code du travail en ce qu’elles subordonnent à l’exécution d’un travail effectif l’acquisition de droits à congé payé par un salarié dont le contrat de travail est suspendu par l’effet d’un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle et juge que ce salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période.

Quelles conséquences pour les entreprises ?

S’agissant de la période d’acquisition en cours, le revirement de jurisprudence conduit à tenir compte des absences pour maladie pour calculer le nombre de jours de congés payés en cours d’acquisition.

L’étendue de cette décision ?

Cette solution vaut pour les droits à congés légaux, y compris la cinquième semaine de congé, ainsi que pour les droits d’origine conventionnelle. De cette façon, les salariés absents pour maladie (d’origine professionnelle ou non) acquièrent des droits à congé d’une durée identique à celle des salariés présents dans l’entreprise et exécutant un travail effectif.

En outre, si la Cour de cassation laissera désormais inappliquées, dans les litiges dans lesquels elle sera saisie, les dispositions du Code du travail empêchant ou limitant l’acquisition de congés payés pendant les périodes d’arrêt de travail pour maladie (professionnelle ou non), la rédaction des dispositions concernées du Code du travail demeure inchangée. Il appartient au législateur de les modifier pour garantir la cohérence des textes et de la jurisprudence. Dans cette attente, les employeurs qui continueraient à appliquer strictement les dispositions légales en matière d’arrêt de travail et de congés s’exposent à des contentieux judiciaires.

La décision est elle rétroactive ?

En principe oui, comme toute jurisprudence.

Les employeurs pourraient avoir à payer des congés payés rétroactivement pour des périodes pendant lesquelles les salariés étaient en arrêt maladie. Cela pourrait augmenter considérablement les coûts salariaux pour certaines entreprises dont l’effectif est important.

Ceci étant les juges ont la possibilité de limiter dans le temps la prise d’effet de leur décision que pour l’avenir par exemple. Des précisions de la Cour de cassation ou du Ministère sont indispensables.

Que faut il faire dans l’immédiat ?

– Modifier le paramétrage de la paie

– décider ou non de créditer les compteurs de congés sur les trois dernières années pour les salariés en poste et qui ont été malades.

– envisager une négociation avec les salariés en interne (et avec les syndicats et le CSE).

– envisager la prise de provisions dans les comptes en tenant compte de la prescription.

– anticiper la communication en interne sur le sujet.

– s’attendre à cette nouvelle demande dans les contentieux en cours.

Par Benjamin LOUZIER