Le sous-traitant d’un marché public peut être payé directement par l’entreprise principale

Le sous-traitant d’un marché public peut être payé directement par l’entreprise principale

1. La loi de 1975 (n° 75-1334) organise un régime protecteur d’ordre public au profit des sous-traitants à un marché public (art. 1er).

Ainsi, sous réserve que le sous-traitant direct du titulaire du marché public a été accepté et a vu ses conditions de paiement agréées par le maître d’ouvrage, celui-ci a droit au paiement direct (art. 6), ce droit s’imposant sans que l’on puisse y déroger ou y renoncer (art. 7 – CE, 17 décembre 2003, Société Laser, req. n° 250494).

2. En pratique, il arrive que le paiement direct ne soit pas concrètement mis en oeuvre, l’entreprise principale se chargeant de régler à son sous-traitant les sommes qui lui sont dues. Il suffit en effet que le sous-traitant n’ait pas adressé sa demande de paiement directement auprès de la personne publique suivant les conditions fixées par l’article 116 du Code des marchés publics.

Cette pratique, fluide et qui ne pose en soi aucune difficulté lorsque les relations entre les différents intervenants (personne publique, entreprise principale, sous-traitant) fonctionnent dans des conditions normales, est cependant souvent critiquée ou contestée en ce qu’elle ne serait pas légale.

Les tenants d’une lecture plus théorique que pragmatique de la loi de 1975 opposent ainsi à l’objectif de la loi, sa lettre, en rappelant que l’article 6 dispose que « Le sous-traitant direct du titulaire du marché (…) est payé directement par lui pour la part du marché dont il assure l’exécution » (invoquant l’indicatif présent comme impératif juridique).

3. Le Conseil d’Etat vient cependant, récemment, de rappeler qu’il convenait effectivement d’avoir une approche pragmatique de la loi de 1975 sans que cela n’amenuise ni les protections qu’elle offre, ni son caractère d’ordre public (cf. CE, 23 mai 2011, Société Lamy et société Pitance, req. 338780, inédit au Lebon).

La position arrêtée par le Conseil d’Etat est au demeurant simple et limpide. Après avoir rappelé que « le sous-traitant agréé dispose d’un droit au paiement direct par le maître d’ouvrage » en vertu des dispositions de la loi de 1975, il indique que ces dispositions « ne font pas obstacle à ce que le paiement de ce sous-traitant soit directement effectué par le titulaire du marché, éteignant ainsi à due concurrence la créance du sous-traitant sur le maître d’ouvrage ».

4. Les faits qui ont donné lieu à cette décision du Conseil d’Etat se rencontrant fréquemment en pratique méritent donc d’être rappelés.

A l’origine de cette affaire, la maîtrise d’oeuvre avait commis une erreur dans les métrés retenus pour la réalisation d’une partie des travaux qui avaient été projetés par le marché, et dont l’exécution avait été confiée, par le titulaire, à un sous-traitant. Cette erreur avait pour conséquence d’obliger le sous-traitant à engager des travaux supplémentaires.

Compte tenu de cette erreur, le titulaire du marché aurait pu exciper des difficultés d’exécution qui ne lui étaient pas imputables pour bloquer ou ralentir l’exécution du marché avant de trouver une solution avec le maître d’ouvrage personne publique.

Mais, comme le relève le Conseil d’Etat, le titulaire du marché a alors pris ses responsabilités : « Afin d’assurer la continuité des travaux, le groupement constructeur a accepté de prendre directement à sa charge le paiement à son sous-traitant du surcoût des travaux pour un montant de 68 502,36 euros ».

Après achèvement des travaux, le groupement titulaire a recherché à la responsabilité (quasi-délictuelle) du maître d’oeuvre en raison de l’erreur commise dans les métrés. N’ayant eu que partiellement gain de cause devant le tribunal administratif, le groupement titulaire a fait appel.

Mais la Cour a rejeté leur appel au motif que, selon elle, seul le maître d’ouvrage pouvait payer le sous-traitant : elle en a déduit qu’il ne pouvait y avoir aucun lien de causalité entre la faute du maître d’oeuvre sur les métrés et le préjudice subi par le titulaire qui a supporté le coût des travaux supplémentaires indispensables.

C’est cette analyse que le Conseil d’Etat a censuré pour erreur de droit.

5. Le Conseil d’Etat permet ce faisant aux titulaires de marchés publics d’envisager une exécution efficace et pragmatique de leurs contrats avec la perspective d’être « récompensés » de leurs efforts sans être contraints de neutraliser ou de bloquer au préalable la situation pour obtenir l’assurance des personnes publiques qu’ils ne supporteront pas indûment les coûts de faits ou de fautes qui ne leurs sont pas imputables.

Alexandre Le Mière

Avocat associé

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