Marché public : le « candidat » sous-traitant « important » peut agir contre le contrat

Marché public : le « candidat » sous-traitant « important » peut agir contre le contrat

1- Si les marchés publics intéressent et concernent de nombreuses entreprises sous-traitantes, les droits directs qu’ils en tirent ou peuvent faire valoir auprès des personnes publiques sont relativement réduits.

Il est ainsi généralement considéré que les sous-traitants ne peuvent pas contester les conditions de la passation des marchés publics au motif qu’ils ne peuvent pas se prévaloir d’un intérêt direct et certain (ne se situant que dans le sillage de l’entreprise principale, elle-même candidate au marché).

Cependant, le refus d’ouvrir aux sous-traitants la possibilité de contester une procédure de passation par le biais, notamment, de la procédure de référé précontractuel, fait l’objet d’une jurisprudence incertaine (dans la mesure où les raisons qui conduisent à refuser au sous-traitant l’accès au juge divergent selon les juridictions – cette question n’ayant pas, à ce jour, été tranchée par le Conseil d’Etat).

2- Le Conseil d’Etat a apporté une précision dans un arrêt du 14 octobre 2015 (CE, 14/10/2015, Société Pyxise, req. n° 391183) sur la façon d’appréhender la situation du sous-traitant pour déterminer dans quelle mesure il peut contester un marché public.

En effet, le Conseil d’Etat a jugé que lorsque les prestations à exécuter par le sous-traitant dans le projet de marché constituent une partie de l’offre elle-même (sous-traitance de spécialité), alors ledit sous-traitant a un intérêt à agir contre le marché.

Dans l’affaire jugée, le sous-traitant malheureux (puisque l’entreprise principale candidate pour laquelle il avait été présenté en qualité de sous-traitant a vu son offre rejetée) détenait la technologie sur laquelle reposait l’offre du candidat.

Considérant que le rejet de l’offre de son entreprise principale était irrégulier, le sous-traitant a contesté le contrat (par la voie d’un recours au fond contre le marché qui avait été signé, assorti d’un référé suspension).

Le Conseil d’Etat a confirmé qu’il pouvait valablement contester le marché (au fond et en référé) non « en sa seule qualité (…) de sous-traitante » mais parce que « l’offre (…) reposait sur la technologie que fournit » ladite société sous-traitante.

3- Un enseignement et une perspective peuvent être tirés de cette décision pour les opérateurs économiques candidats.

3.1-    L’enseignement de cet arrêt est que la qualité de sous-traitant ne fait pas obstacle à la contestation d’un marché public (à tout le moins déjà signé).

Du point de vue des sous-traitants d’abord, il leur appartient donc de vérifier la situation pour déterminer, au cas par cas, s’ils peuvent justifier d’un intérêt suffisamment direct et certain pour faire valoir leur droit.

A cet égard, on peut penser que la sous-traitance de spécialité (qui ne sera pas nécessairement toujours un gage d’intérêt à agir) n’est pas la seule à générer un intérêt direct et certain : il est en effet possible qu’une sous-traitance de capacité substantielle (c’est à dire représentant une part important de l’ensemble de l’offre) confère un tel intérêt direct et certain.

En toute hypothèse, la solution proposée par le Conseil d’Etat apparait opportune, notamment au regard des contrats globaux et de partenariat (cf. Ordonnance du 23 juillet 2015 n° 2015-899) qui réservent une part de l’exécution aux petites et moyennes entreprises ou aux artisans qui pourront là trouver intérêt à agir au contentieux.

Du point de vue des entreprises qui recourent aux sous-traitants ensuite, on peut se demander si elles pourraient considérer inopportun de laisser un sous-traitant engager un tel contentieux. Dans cette situation, la question d’insérer des clauses de renonciation à recours dans les projets de contrats de sous-traitance peut se poser (tout comme la portée d’une telle clause).

3.2-    La perspective qu’offre cette décision du Conseil d’Etat tient à une évolution possible (probable ?) de la jurisprudence en matière de référé précontractuel.

La décision Société Pyxise s’inscrit dans le cadre d’un recours au fond engagé après la signature du contrat en application de la jurisprudence Tarn et Garonne (CE, Ass., 4 juin 2014, Département de Tarn et Garonne, req. n° 325994) qui ouvre au concurrent évincé la faculté de contester le marché public signé lorsqu’il est « susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine ».

Parallèlement, le référé précontractuel est ouvert aux « personnes (…) qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d’être lésées par le manquement invoqué » (art. L.551-10 CJA). De ce point de vue, il apparait raisonnable de considérer que le sous-traitant « spécifiquement intéressé » devrait également avoir intérêt à agir en référé précontractuel.

Cependant, il ne suffit pas d’avoir un tel intérêt a priori. Car, en effet, la contestation ouverte par le référé précontractuel au concurrent évincé implique que « l’entreprise (…) se préva[le] de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l’avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente » (CE Sect., 3 octobre 2008, SMIRGEOMES, req. n° 305420).

Ainsi, l’ouverture à la contestation du marché signé est légèrement différente de l’ouverture à la contestation de la procédure de passation du marché.

En l’état, si la décision Société Pyxise ne permet pas de le conclure avec certitude, il semble très probable qu’elle devrait influencer le référé précontractuel qui pourrait ainsi s’ouvrir (dans certaines hypothèses) aux sous-traitants. En revanche, il apparait totalement impossible à ce stade d’appréhender ou d’anticiper sur la façon dont sera appréhendée et appréciée la recevabilité des manquements pouvant être invoqués au regard du critère de la lésion.

Alexandre Le Mière
Avocat associé

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