Marché public : extension de la durée des marchés à bons de commande au-delà de 4 ans et risque d’annulation

Marché public : extension de la durée des marchés à bons de commande au-delà de 4 ans et risque d’annulation

1- L’article 77 II CMP dispose que le marché à bons de commande ne peut excéder 4 ans sauf « cas exceptionnels dûment justifiés ».

Le Code des marchés publics indique que les justifications peuvent résulter notamment de l’objet du marché ou encore du fait que l’exécution du marché nécessite des investissements amortissables sur une durée supérieure à 4 ans.

2- Dans une récente affaire la Cour administrative d’appel de Marseille a jugé qu’un acheteur public avait méconnu l’article 77 CMP en prévoyant une durée de 5 ans pour un marché à bons de commande de transport public de voyageurs (CAA Marseille, 2 février 2015, Société Autocars Rigon et fils, req. n° 13MA02215 – cf. 20ème considérant).

Précisons que dans cette affaire, la Cour a prononcé l’annulation du marché public qui avait été contesté par un concurrent évincé (même si l’irrégularité tenant à la durée des bons de commande n’a pas été elle-même pointée comme déterminante par la Cour – cf. 35ème considérant).

Les opérateurs économiques candidats aux marchés publics doivent donc, dans le prolongement de cette décision, être extrêmement prudents et vigilants lorsqu’ils envisagent de soumissionner à un marché pour lequel la durée des bons de commande est supérieure à 4 ans.

En effet, le candidat qui l’emporterait risque de voir son marché ultérieurement annulé si un autre candidat évincé mécontent décidait de solliciter l’annulation du marché.

3- En l’espèce, l’acheteur public avait justifié l’extension de la durée des bons de commande au regard de la durée d’amortissement des véhicules utilisés pour l’exécution de la prestation.

Ce n’est donc pas l’absence de justification qui a été reprochée, mais la justification elle-même de l’extension de 4 à 5 ans de la durée du marché à bons de commande.

Ce faisant cette décision pose de très nombreuses questions, dont deux principales.

3.1- Sans entrer dans le détail, cette décision interroge en effet d’abord sur le niveau de contrôle que peut opérer le juge sur les justifications apportées par l’acheteur public.

En l’espèce, le juge semble avoir opéré un contrôle « détaillé » (normal) sur la validité des motifs retenus par l’acheteur public.

Si le caractère « exceptionnel » de la faculté de dépasser le délai fixé par l’article 77 CMP semble conforter cette approche, il reste que la marge de manœuvre explicitement donnée par le même article à l’acheteur public sur les types de motifs pouvant être retenus conduit à se demander si le juge ne devrait pas s’en tenir à un contrôle « limité » (restreint).

Ce niveau de contrôle du juge pourrait en outre être analysé au regard des dispositions communautaires (cf. Directive 2014/24/CE, considérant 62 et article 33) confortant l’idée que si le dépassement du délai doit être exceptionnel, il « devrait » être admis dès lors notamment que l’amortissement des équipements nécessaires à l’exécution du marché le justifie.

3.2- Cette décision interroge ensuite sur l’appréciation portée par le juge administratif sur les justifications retenues par l’acheteur public.

En l’espèce, il résulte des termes de l’arrêt, que l’acheteur avait calé la durée du marché sur 5 ans en fonction de l’âge des véhicules et de leur durée d’amortissement.

Pour considérer que ce motif ne justifiait pas d’étendre la durée du marché au-delà de 4 ans, le juge a retenu que les véhicules « pouvaient continuer à être amorti, après l’expiration du marché » par d’autres moyens (revente, nouveaux marchés – cf. 20ème considérant).

Mais, dès lors que l’amortissement est précisément une des justifications explicitement visées par le texte, on s’interroge sur les motifs indiqués par le juge qui semble d’une part avoir pris en compte des « potentialités » d’amortissement après le marché, qui, d’autre part, ne semble pas avoir examiné les cycles et courbes d’amortissement pendant le marché et ce au regard de l’impact prix pour l’acheteur public et qui, enfin, apparait avoir apprécié la situation au regard d’un amortissement « total » sur la durée du marché prévue sans, là-encore, tenir compte de l’optimisation de l’amortissement en fonction de la combinaison durée/prix pour l’acheteur public.

4- Indépendamment des interrogations (non exhaustives) sus évoquées, il demeure que la solution retenue par la Cour administrative d’appel de Marseille doit nécessairement conduire les opérateurs économiques candidats aux marchés publics à s’interroger sur l’opportunité de soumissionner à un marché à bons de commande dont la durée est supérieure à 4 ans.

Cette interrogation est d’autant plus nécessaire que la Cour a jugé dans cette affaire que toute irrégularité doit être prise en compte, indépendamment de son éventuelle portée vis-à-vis de celui qui l’invoque (cf. 6ème considérant), considérant en cela que la jurisprudence Tarn & Garonne (CE, Ass., 4 juin 2014, Département de Tarn et Garonne, req. n° 325994) ne s’appliquerait pas (ce dont l’auteur de la présente brève doute cependant très fortement).

Au surplus, dans cette affaire, le marché a été annulé alors même qu’il a été admis par la Cour que le concurrent évincé à l’origine du recours n’avait pas disposé de chances sérieuses d’emporter le marché (cf. 39ème considérant).

Alexandre Le Mière
Avocat associé

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