Soumettre les « drive » à l’urbanisme commercial ?

Soumettre les « drive » à l’urbanisme commercial ?

1. Le projet de loi ALUR (Accès au Logement et un Urbanisme Rénové) en discussion devant le Parlement, qui aborde de très nombreux sujets, s’attaque notamment à l’urbanisme commercial en vue de réglementer les « drive ».

Comme le rappelle l’étude d’impact (25/06/2013 – http://www.assemblee-nationale.fr/14/projets/pl1179-ei.asp), le « drive » vise le concept commercial couplant, concrètement, l’e-commerce et la grande distribution : après avoir effectué ses achats sur Internet, le consommateur procède à leur retrait en voiture dans un entrepôt aménagé à cet effet.

2. L’émergence croissante de ce type de commerce conduit le Gouvernement avec, semble-t-il aux termes des premiers débats parlementaires, le soutien des députés à soumettre les drive au droit de « l’aménagement commercial » (art. L.750-1 et s. du Code de commerce).

Cependant, compte tenu de la quasi-absence de réflexion sur le sujet, on doit s’interroger tant sur l’opportunité que sur le bien-fondé d’une telle mesure.

3. En effet, il ressort tant de l’exposé des motifs du projet de loi que de l’étude d’impact qui l’accompagne que le concept du « drive » apparait appréhendé par le Politique essentiellement au regard d’une donnée quantitative : c’est l’augmentation récente et importante de ce type d’installation qui conduit à le réglementer.

La formulation énoncée au titre de l’objectif poursuivi dans l’étude d’impact ne laisse guère de doute : « La volonté de soumettre les « drive » à autorisation d’exploitation commerciale répond à un objectif de régulation de ce nouveau concept commercial que constitue le « drive ». Il s’agit de tenir compte tant de l’ampleur du phénomène que de la rapidité avec laquelle il gagne l’ensemble du territoire. »

4. Il est ainsi symptomatique de constater que si ce nouveau concept est présenté au regard de données statistiques et chiffrées quantitatives, aucune étude ni aucune donnée qualitative n’est indiquée.

L’exposé des motifs de l’article 58 du projet de loi, qui est au demeurant très succinct, procède par affirmation, approximative, en visant notamment des implantations « dans des zones qui n’ont pas nécessairement [souligné par nous] de vocation commerciale » qui « peuvent bouleverser les équilibres des territoires ».

Parallèlement, le « diagnostic », également plus que succinct, énoncé dans l’étude d’impact se borne à une description du concept et au constat que les « drive » « échappent à la législation relative à l’autorisation d’aménagement commercial et ne sont soumis qu’aux autorisations classiques de l’urbanisme : permis de construire, déclaration préalable ».

La carence de réflexion du Politique est évidente : sa volonté, en réalité, n’est que de « légi-réglementer » par principe sur une nouvelle activité parce qu’elle ne semble « pas assez » soumise à différentes normes.

Il n’apparait pas, en toute hypothèse, qu’il s’agisse d’appréhender une nouvelle forme d’activité – qui pourrait au demeurant constituer le signe avant-coureur d’une mutation plus profonde (voir notamment sur ce point : http://www.groupe-cvl.com/fr/Actualites-et-ressources/Le-billet-de-Jerome-Le-Grelle/AEilleres) – en vue de l’accompagner, la favoriser, tout en en diminuant ou prévenant, le cas échéant, les éventuelles manifestations négatives …

Rien, en tout état de cause, n’indique de façon explicitée, fondée et justifiée, dans les communications gouvernementales et les travaux parlementaires en cours, précisément pour quoi légi-réglementer les « drive ».

Ce faisant on ignore tant l’opportunité que le bien-fondé de la démarche du Politique …

5. Dans cette période où la déflation normative et l’accroissement corrélatif de sa qualité (efficacité et intelligibilité) sont à l’ordre du jour, la démarche du Politique apparait ainsi totalement inappropriée et contreproductive.

En effet, légiférer par principe sur une activité économique nouvelle en pleine éclosion (et au demeurant non stabilisée) sans l’étudier précisément sous tous ses aspects et au surplus au travers du seul prisme, nécessairement circonscrit et limité, d’une loi dont l’objet principal est le logement et l’urbanisme semble être inopportun.

Et, il n’en ressort pas que l’ambition soit de trouver les meilleures solutions pour combiner l’ensemble des aspects (commerce, économie, cadre de vie, urbanisme, environnement développement durable, transports, ruralité, aménagement et structuration des territoires …) concernés par cette nouvelle forme de commerce.

6. Ce constat de la défaillance manifeste de la réflexion du Politique sur cette question ciblée conduit, in fine, à s’interroger sur les moyens d’agir.

En effet, à défaut pour le Politique d’avoir mené une réelle réflexion sur le sujet et de disposer d’outils pour le faire, il faut que la « société civile » intervienne dans le débat, et ce directement auprès du Législateur.

Si elle s’en donne les moyens, le droit institutionnel le lui permet.

En amont, parallèlement à une démarche de lobbying visant à sensibiliser, informer, et orienter la discussion législative en cours qui semble aussi impérative que nécessaire, il est en effet juridiquement possible d’intervenir dans le débat, notamment, en formulant des contributions directes sur l’étude d’impact auprès du Parlement.

En aval, si le Politique devait rester sourd aux remarques, propositions et suggestions de la « société civile », il pourra toujours être envisagé des actions a posteriori (procédures contentieuses auprès du Conseil Constitutionnel contre la loi et/ou auprès du Conseil d’Etat contre le(s) décret(s) d’application).

Alexandre Le Mière

Avocat associé

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