Contrat public : faire face à la contrainte de la modification unilatérale en urgence

Contrat public : faire face à la contrainte de la modification unilatérale en urgence

1. L’administration dispose, en contrat public, d’un pouvoir de modification unilatérale (CE, 2 février 1983, Union des transports publics, req. n° 34027).

Ainsi, si elle le décide, l’administration peut, à titre de mesure d’exécution du contrat, imposer à son cocontractant une modification unilatérale du contrat et le contraindre à l’exécuter (puisqu’à défaut il se mettrait en faute).

Si ce pouvoir dont dispose l’administration à l’encontre de son cocontractant ne peut certes être arbitraire, qu’il doit normalement répondre à certaines conditions (succinctes) liées à la continuité du service public et qu’il implique théoriquement une indemnisation, il reste qu’en appeler au contrôle et à l’arbitrage du juge administratif du contrat en ce domaine est d’une efficacité relative.

Et ce alors même que l’administration peut l’imposer en urgence.

2. En effet, malgré des évolutions récentes, le juge administratif du contrat conserve des pouvoirs limités pour contrôler les mesures d’exécution du contrat prises par l’administration et qu’elle impose à son cocontractant.

A cet égard, sauf le cas de sa résiliation, le juge du contrat ne peut pas annuler une mesure d’exécution du contrat, mais seulement rechercher si la mesure peut ouvrir droit à indemnité au profit du cocontractant (CE, Sect., 21 mars 2011, Commune de Béziers, req. n° 304806).

Ainsi, en l’état actuel de la jurisprudence, une mesure de modification unilatérale du contrat ne peut donc faire l’objet que d’un contrôle limité par le juge qui ne se traduirait, en cas de faute de l’administration, que par une indemnisation.

S’il existe, heureusement, des hésitations à ce sujet qui conduisent à envisager que le juge puisse traiter une modification unilatérale avec les mêmes pouvoirs que la résiliation (c’est à dire en ayant le pouvoir de l’annuler), et qui induisent une possible évolution de la jurisprudence, il demeure qu’en l’état le cocontractant de l’administration ne pourra que subir une modification unilatérale de son contrat (1).

Or, une telle épreuve, pourra être d’autant plus contraignante, violente et brutale que le Conseil d’Etat vient de confirmer qu’elle pouvait être imposée en urgence, par le biais du référé mesure utile.

3. Dans une décision du 5 juillet 2013 (Société Veolia Transport Valenciennes, req. n° 367760), le Conseil d’Etat a en effet décidé que le juge des référés peut ordonner au cocontractant de l’administration d’exécuter des obligations qui, bien que non prévues dans le contrat initial, résultent de l’exercice de son pouvoir de modification unilatérale.

Si l’arrêt n’indique pas les détails du litige, on relèvera à titre d’illustration et pour saisir les enjeux ainsi que l’ampleur et les conséquences potentielles d’un tel pouvoir, que cette affaire portait sur un système de transport public de voyageurs : la mesure de modification unilatérale imposée par l’administration a ainsi consisté à substituer des rames de tramways au système de trolleybus initialement prévu par le contrat …

En l’espèce, il se déduite de la décision que cette mesure de modification unilatérale ait été la source du litige ayant opposé l’administration et son cocontractant ce qui a, semble-t-il, conduit ce dernier à s’opposer à la réception du système et à sa mise en service.

C’est cette opposition qui aurait conduit l’administration à saisir le juge du référé afin qu’il enjoigne à son cocontractant de prendre diverses mesures en vue de la réception et de la mise en service de rames de tramway, ce à quoi il a fait droit.

4. Il convient de rappeler que l’intervention du juge administratif du référé « mesures utiles » dans le contrat n’est pas une nouveauté puisque le Conseil d’Etat l’avait confirmé l’année dernière (CE, 1er mars 2012, Société assistance conseil informatique professionnelle, req. n° 354628 – s’agissant d’un contrat de fourniture d’ordinateurs).

Cependant, jusque-là, le Conseil d’Etat avait seulement fait application des stipulations contractuelles initiales : dans cette nouvelle affaire il étend la possibilité de prononcer des mesures d’exécution forcée aux modifications unilatérales décidées par l’administration.

5. Dans l’attente d’évolutions jurisprudentielles probables et d’une adaptation souhaitable des pouvoirs du juge administratif du contrat dans ce domaine, les opérateurs économiques se doivent d’être extrêmement vigilants lorsque l’administration commence à évoquer des modifications de contrat.

En effet, compte tenu des outils juridiques limités qui sont à leur disposition une fois la modification intervenue et de la possibilité offerte à l’administration de passer en force, les opérateurs économiques ont tout intérêt à anticiper toute évolution de leur contrat afin de pouvoir agir en amont.

Ainsi, outre la négociation dans le cadre contractuel (qui doit être privilégiée et permanente), l’entreprise dispose, en tout état de cause du levier financier, la modification unilatérale étant par elle-même finançable. L’entreprise peut également, le cas échéant si la modification est inacceptable, envisager la résiliation dudit contrat aux torts de l’administration. Potentiellement, en tablant sur une évolution de la jurisprudence, elle peut aussi projeter de demander l’annulation de la modification imposée auprès du juge administratif.

Alexandre Le Mière

Avocat associé

(1) L’indemnisation de la modification unilatérale est bien évidemment « louable », étant en réalité le minimum que l’administration puisse faire. Cependant, si dans certains cas une modification unilatérale du contrat peut être intéressante pour l’opérateur économique (adaptation du contrat, accroissement du chiffre d’affaires du contrat … etc.), il peut aussi être des cas où la modification est problématique (contrainte de technicité pour l’entreprise ; affectation de la marge ; mobilisation de moyens devant être affectés à une autre opération … etc.) sans être réellement compensée par l’indemnisation. Ainsi, en l’état de la jurisprudence, le point des entreprises n’apparait pas être pris en compte.

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